« Si tu veux creuser droit ton sillon, accroche ta charrue à une étoile »

André Gattolin est intervenu le jeudi 5 juillet en séance publique, dans le cadre du débat portant sur le Conseil européen des 28 et 29 juin 2012, pour porter la parole des Sénateurs écologistes.

 

Seul le prononcé fait foi

 

Madame la Présidente, Monsieur le Premier Ministre,

Messieurs les Ministres, chers collègues,

Il y a parfois des hasards heureux de calendrier, et celui-ci en est un.

Notre Parlement est de retour en session depuis quelques jours et, déjà, l’Europe se retrouve au cœur de nos débats.

J’y vois là une sorte de présage pour les cinq années à venir :

Le quinquennat qui débute en France ne réussira que si nous parvenons à réinvestir pleinement le projet européen.

Et ce réinvestissement ne pourra avoir lieu que si, au sein de nos assemblées comme dans la société, nous réfléchissons enfin à cette question dans un esprit ouvert, serein, et empreint d’honnêteté politique et intellectuelle.

Car, reconnaissons-le, si au cours de l’intense séquence électorale qu’a connu notre pays, la crise de l’euro a constitué une toile de fond permanente, on ne peut guère dire que le débat sur l’Europe proprement dite ait brillé par sa richesse et son intensité !

Le Conseil européen qui vient de se dérouler a-t-il permis de donner un nouvel élan à cette entreprise ?

En tout cas, on aura rarement vu de réunions de ce type, porteuses d’autant de décisions importantes et obtenues en d’aussi rapides délais.

 

Je ne reviendrai que brièvement sur le contenu de l’accord lui-même : celui-ci a été déjà largement commenté.

120 milliards d’euros alloués à la relance de l’activité économique ; une évolution des mécanismes de stabilité vers un découplage des crises bancaires et des dettes souveraines ; l’instauration prochaine d’une taxe sur les transactions financières dans un nombre significatif de pays de l’Union… Ce sont là des avancées indéniables et que nous saluons.

Mais ce qui me semble peut-être être le plus important dans l’accord trouvé relève sans doute moins du fond que de la forme et de l’embryon de méthode employée. Ce à quoi nous avons assisté, c’est en effet à une rupture avec une pratique qui était devenue dominante ces dernières années : à savoir une gestion des grandes décisions par un duopole imparfait composé de la France et de l’Allemagne et qui tenait largement à l’écart leurs autres partenaires.

 

Aujourd’hui, une dynamique nouvelle semble se mettre en place : certains Etats qui peinaient à se faire entendre réussissent enfin se remobiliser au niveau européen. Le rôle majeur tenu par les dirigeants italiens et espagnols, aux côtés de la France et de l’Allemagne, aura été déterminant. Ils nous rappellent aujourd’hui  qu’on ne peut ni construire l’Union européenne, ni même sauver la zone Euro, en mettant de côté toute une partie de ceux qui la composent. C’est dans cette cohésion pluripartite que réside la bonne solution face à la défiance des marchés dont les jeux spéculatifs se portent opportunément d’un Etat en difficulté vers un autre. Face à cette configuration nouvelle, le gouvernement allemand a su heureusement faire évoluer sa position.

Espérons que nous soyons là à l’aube d’un nouveau cours européen – une nouvelle méthode de travail communautaire – et non dans le cadre d’une belle exception qui n’aurait été le fruit que d’une conjonction de circonstances particulières.

Cela étant il reste encore beaucoup à faire. De nombreuses interrogations subsistent. Par manque de temps, je n’en soulèverai que quelques unes :

– Le point le plus important du plan de relance envisagé, concerne sans doute l’augmentation du capital de la Banque européenne d’investissement. Elle devrait permettre, grâce aux effets de levier, de mobiliser jusqu’à 60 milliards de prêts en plus de ceux qu’elle octroie déjà. Reste que l’incertitude demeure, quant aux types de projets qui pourront être financés par ce biais. Quels sont, selon vous Monsieur le Premier ministre, les secteurs qui devraient en bénéficier en priorité ?

– De la même façon, concernant le MES et les mécanismes de l’Union bancaire, on a peine à comprendre quelle sera exactement la part réclamée aux banques privées dans les nouveaux mécanismes de renflouement. Envisagez-vous de plaider en faveur d’un fonds de résolution bancaire et d’un système de garantie de dépôts des particuliers, qui seraient abondés par les établissements financiers ?

– Enfin, s’agissant de la taxe sur les transactions financières – c’est une idée que les écologistes européens défendent depuis le début des années 2000 ! – je m’interroge sur la destination budgétaire et l’usage des fonds qu’elle permettra de dégager. Sera-t-elle destinée  aux budgets propres des Etats membres ? Ou, sera-t-elle affectée au financement de notre contribution nationale au budget européen ?  Permettre à l’Union européenne d’augmenter ses ressources propres étant, à mon sens, la piste les plus intéressante quant à la vocation de cette nouvelle fiscalité.

 

Au-delà, la question des ressources propres de l’Union européenne est plus que jamais primordiale. Pour relancer l’Europe tant au niveau économique que politique, la question du budget de l’Union et de ses ressources propres, ainsi que celles des institutions qui permettront de le contrôler démocratiquement doivent désormais être mises au cœur de nos discussions.

La crise traversée par la zone euro ne tient pas seulement à la situation économique et financière mondiale, ni aux problèmes de compétitivité de nos économies, ni à la seule question des dettes souveraines. Les dysfonctionnements de la zone euro tiennent, en premier lieu, de ce que nous nous sommes dotés il y a 20 ans d’une monnaie unique sans l’accompagner de la gouvernance qu’elle supposait. Nous prenons seulement aujourd’hui conscience de la nécessité d’une gouvernance économique de l’Union et de la zone Euro.

Assez improprement qualifiée de « fédéralisme économique », cette réalité s’impose désormais à nous. Mais ce qui est devenu impératif et légitime d’un point de vue économique ne peut aller durablement de l’avant sans une légitimité politique et démocratique.

Il faut aujourd’hui, sans tabou ni phobie, avoir le courage de poser enfin la question du fédéralisme politique en Europe, le seul qui puisse garantir une authentique légitimité démocratique aux instruments de gouvernance économique supranationaux que nous mettons en place.

Sans vouloir mettre en cause les compétences techniques de Messieurs Van Rompuy, Juncker, Barroso… nous ne pouvons admettre que les centres majeurs de décisions qu’ils représentent, ainsi que les instances en cours de construction, restent déconnectés d’un lien direct ou indirect avec le suffrage universel à l’échelle européenne.

Depuis sa naissance, l’Union européenne n’a cessé de se construire par crises, à-coups et ajouts. Au-delà de la question de la légitimité de ses instances, cet édifice juridiquement baroque pose – et posera encore davantage si nous continuons d’opérer de la sorte – le problème de sa lisibilité auprès de nos concitoyens.

L’accord trouvé lors du Conseil européen des 28 et 29 juin a l’avantage d’éclaircir la situation économique et financière de l’Europe pour quelques mois. Mais il s’est fait au prix de la création de nouvelles extensions à partir d’une architecture déjà complexe. Il serait dangereux que cette solution trouvé à court terme de la crise de l’euro ne génère une véritable crise démocratique de l’Europe.

 

Nombre de propositions ont pourtant déjà été faites pour renforcer la lisibilité et la légitimité de nos institutions européennes Parmi celles-ci, il en est une avancée par notre collègue Jean Arthuis dans son rapport sur la gouvernance économique, consistant à regrouper en une seule fonction la Présidence du Conseil européen et celle de la Commission. Dans une telle hypothèse, il faudrait attacher à cette réorganisation structurelle la légitimité populaire déjà conférée au Parlement européen et à nos Parlements nationaux.

Depuis plus d’une dizaine d’années, les écologistes européens suggèrent que les élections européennes s’opèrent pour partie sur des listes à l’échelle nationale, et pour partie sur des listes transnationales. L’idée sous-jacente de cette proposition est que les postes de décisions pourvus au niveau de la Présidence du Conseil européen, de la Commission européenne, voire de l’Eurogroupe, émanent de ce vivier d’hommes et femmes politiques qui, par la nature du scrutin transnational, constitueraient un embryon de véritable classe politique européenne.

C’est, nous dira-t-on, après tous les efforts et l’intelligence déjà consentis pour sauver la zone Euro et l’Union, une attente trop exigeante. Rappelons-nous cependant du dicton, qui nous dit : « si tu veux creuser droit ton sillon, accroche ta charrue à une étoile ».

 

Le devenir de l’Union européenne, mais aussi celui des Etats qui la composent, dont notre pays, est, je crois, à ce prix.

Pour conclure, Monsieur le Premier Ministre, une fois adoptées les réformes décidées par le Conseil européen, avez-vous l’intention, durant l’année 2013, « Année de la citoyenneté européenne », d’engager au sein de la société française un large débat sur ces questions ?

Mené de manière ouverte et sereine, il contribuerait certainement à rapprocher les citoyens de l’Union européenne.

 

Crédits photo : services du Sénat