Presse en ligne : pour une TVA à taux super-réduit

Lors de la discussion du Projet de Loi de Finance Rectificative pour 2012, André Gattolin est intervenu pour aligner le taux de TVA applicable à la presse en ligne (actuellement 19,6% et bientôt 20%) sur celui de la presse imprimée (2,1%) au nom du principe de neutralité fiscale. L’amendement voté par le groupe écologiste n’a pas été adopté.

Monsieur le Président,

Monsieur le Ministre,

Mes chers collègues,

Cet amendement N°176 vise à faire bénéficier la presse en ligne du taux de TVA à 2,1 % actuellement applicable à la presse papier. Vous le savez, mes chers collègues, la presse en ligne est à la recherche de son modèle économique, et celui-ci s’accommode très mal d’une fiscalité fortement alourdie par rapport à la presse imprimée. Les services de presse en ligne sont actuellement soumis à un taux de TVA de 19,6 %, qui passerait à 20 % si ce projet de loi de finances rectificative était adopté.

Le groupe écologiste rappelle que, à l’occasion de l’examen du projet de loi de finances pour 2012, le Sénat avait déjà adopté un amendement visant à étendre à la presse en ligne le bénéfice du taux de TVA réduit de 2,1 %. L’Assemblée nationale avait supprimé cette disposition, en dernière lecture, sur demande du précédent gouvernement.

Nous ne négligeons pas les contraintes juridiques posées par le droit communautaire concernant l’application du taux réduit de TVA aux publications de la presse électronique.

Je précise toutefois que le sujet fait débat au sein de l’Union européenne. La directive qui cadre ce taux de TVA date de 2006. À l’époque, la presse en ligne était assimilée aux services en matière de TVA. Or ce point est vivement contesté. La Grande-Bretagne applique d’ailleurs un taux identique à la presse écrite et à la presse en ligne, tandis que la Belgique est en train d’adopter une mesure analogue. Le Parlement a, en outre, adopté la neutralité fiscale en ce qui concerne le livre, qu’il soit imprimé sur papier ou numérique.

L’argument de la cohérence du droit communautaire ne me paraît pas déterminant. Cette directive n’étant plus du tout adaptée, elle sera très prochainement révisée. En 2006, toute la presse en ligne était financée par la publicité. Aujourd’hui, il existe une presse en ligne payante, vendue par abonnement, qui est soumise à un taux de TVA de 19,6 %, alors que le même produit imprimé sur papier est affecté d’un taux de 2,1 %.

Nous sommes donc confrontés à des problèmes d’équité, de pluralisme de l’information, d’aide à la transformation de notre système d’information et de nos capacités journalistiques, essentiels à la démocratie. Il s’agit de s’adapter pleinement aux mutations technologiques.

Je rappelle que cette position est très largement soutenue par l’ensemble des groupes au sein de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication à laquelle j’appartiens.

Il importe d’engager cette réforme sans plus attendre. S’agissant d’un marché récent, elle n’implique pratiquement aucune conséquence dommageable sur les recettes fiscales. Selon de récentes études, un taux de TVA de 2,1 % appliqué à la presse en ligne entraînerait un manque à gagner de 5 millions d’euros la première année, soit un montant très inférieur à la marge d’erreur des prévisions de recettes du pacte compétitivité-emploi dont nous discutons.

Le développement du marché de la presse en ligne ouvrirait au contraire des perspectives de recettes complémentaires pour l’État, là où les perspectives d’évolution des recettes fiscales tirées de la presse imprimée sont de moins en moins favorables.

La réponse du Ministre du Budget

M. Jérôme Cahuzac, ministre délégué.

Monsieur Gattolin, je comprends très bien l’objet de cet amendement, mais je voudrais attirer votre attention sur la situation un peu délicate de la France au regard du droit communautaire et vous rappeler que nous sommes réellement sous la surveillance de la Commission et de ses services.

La priorité de la France, c’est d’obtenir que le livre numérique bénéficie de la TVA au taux réduit. Je suis pour ma part convaincu, sans avoir de preuve tangible à vous apporter – j’espère que ma bonne foi et ma sincérité vous conviendront – que nous perdrons la bataille du livre numérique sans gagner celle de la presse numérique dès lors que la barque serait trop chargée. Or envisager de faire passer le taux de TVA à 2,1 % pour la presse dite « numérique » reviendrait probablement à une provocation pour les services de la Commission, notamment pour le commissaire Semeta que j’ai eu récemment au téléphone.

J’invite le Sénat à rejeter cet amendement, non pas pour des raisons de fond – je comprends très bien vos motivations –, mais parce que nous avons trop de contentieux avec la Commission en matière fiscale, tous perdus devant la Cour de justice de l’Union européenne, pour que la France continue à faire comme si elle ignorait l’esprit et la lettre de cette directive.

M. André Gattolin. Monsieur le ministre, j’enseigne l’économie des médias, j’ai travaillé dans le monde de l’information et je me suis occupé du passage au numérique d’un certain nombre de titres. Je me pique donc de connaître un peu le sujet, notamment en matière de contentieux, et je dois dire que le ministre délégué chargé des affaires européennes réalise un excellent et important travail pour essayer de régler nos contentieux en cours avec les instances communautaires.

M. le rapporteur général a cité l’annexe III de la directive européenne de 2006, qui exclut du taux de TVA réduit les titres et supports vivant de la publicité. Il convient de distinguer un support exclusivement financé par la publicité, qui peut être assimilé à un service, d’un support en ligne payant. Par ailleurs, toute une jurisprudence, au sein de l’Union européenne, invoque la neutralité technologique et, en son sein, l’égalité de traitement.

Il va donc falloir nous attacher très sérieusement, à l’échelon tant du Gouvernement que des commissions des affaires européennes du Parlement, à la redéfinition de la notion de service sur Internet, telle qu’elle est prévue par les instances européennes. En 2006, je le répète, il n’y avait pas véritablement de site d’information exclusivement en ligne, du type de ceux que l’on appelle les « pure players », sur un modèle payant. Les Anglais ont réalisé l’égalité fiscale entre la presse numérique et la presse écrite ; les Belges font la même chose.

Je souhaite à tout le moins que ce dossier soit très sérieusement étudié, parce que, contrairement à ce que laisse entendre M. le rapporteur général, nous ne provoquerons pas une migration de la presse papier vers la presse en ligne. D’ailleurs, tous les titres de presse écrite possèdent un site numérique. Nous les inciterons, notamment avec ce taux réduit de TVA, à passer à des systèmes payants, c’est-à-dire à sortir de modèles purement fondés sur la publicité et les partenariats, aujourd’hui déficitaires, qui ne sont pas économiquement viables.