Les enjeux et les perspectives de la politique spatiale européenne

André Gattolin est intervenu le 26 mars en séance publique, au cours du débat sur les enjeux et les perspectives de la politique spatiale européenne, au nom du Groupe écologiste

 

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je dois tout d’abord avouer que le sujet qui nous occupe ce soir n’est pas des plus familiers aux écologistes.

Nous ne comptons pratiquement, hélas ! aucun spécialiste du domaine spatial. Voilà sans doute pourquoi c’est à moi, membre de la commission des affaires européennes et passionné d’espace depuis ma plus tendre enfance, que revient l’honneur et le plaisir d’intervenir devant vous.

À moins que ce ne soit parce que je suis le membre du groupe écologiste ayant la plus forte empreinte carbone en raison de mes très nombreux voyages intercontinentaux ! (Sourires.) La question reste ouverte, mes chers amis.

Pourtant, à bien y réfléchir, il s’agit d’un élément essentiel pour nous qui nous fixons comme ligne de conduite de penser global et d’agir local.

L’espace est en effet le lieu le plus absolu de cette pensée à l’échelle globale – et, ajouterais-je, inscrite dans le temps long – que nous appelons de nos vœux.

Nous nous efforçons d’agir en cohérence avec notre souci de préserver la planète, ses ressources, son équilibre et ses dynamiques.

De ce point de vue, l’espace nous donne à voir un spectacle singulier : celui d’un globe fini, fragile, isolé… et finalement pas tant que cela.

L’espace nous fait prendre conscience de notre propre finitude et en même temps, par la fascination qu’il exerce, nous fait rêver et nous aide à comprendre que ces limites ne demandent qu’à être surmontées.

En disant cela, je pense notamment à un article publié en une du journal Le Monde le 21 mars dernier. On y voyait un ovale coloré de multiples taches aux tons bleus et ocrés. Il s’agissait d’une image représentant l’univers à son stade le plus jeune jamais observé, soit 380 000 ans. C’était il y a 13,8 milliards d’années.

Ce cliché offre aux chercheurs du monde entier une gigantesque mine d’informations à analyser. Il a été rendu possible grâce à la politique spatiale européenne ; ce sont en effet des scientifiques travaillant pour l’ESA, l’Agence spatiale européenne, qui l’ont réalisé à partir des données transmises par le satellite Planck. Il pourrait justifier à lui seul, je crois, l’existence de cette politique.

Elle connaît pourtant actuellement une période difficile, en raison, d’abord, du contexte économique et, ensuite, du contexte institutionnel.

Sur le plan économique, elle risque de pâtir, comme toutes les autres politiques, des restrictions budgétaires engagées dans toute l’Europe. Quand les Américains consacrent 48 milliards de dollars à l’espace, les Européens n’en consacrent que 6.5 milliards.

Et si cette politique ne représente « que » 35 000 emplois à travers l’Europe, ses retombées sont difficilement quantifiables. Elles vont des satellites météorologiques à l’aide à la navigation, en passant par les études qu’une telle politique rend possibles en matière d’environnement ou de changement climatique.

La concurrence est vive, en provenance des États-Unis mais aussi de la Russie, de la Chine ou de l’Inde, pays qui cherchent à engager ou à renouveler une politique de prestige et de puissance peu commune.

Sur le plan institutionnel, nous sommes face à une redéfinition, au moins partielle, de la politique spatiale européenne et de son organisation.

Depuis 1975, l’ESA, qui fonctionne sur un mode intergouvernemental, est l’organe européen de cette politique, soutenue pour l’essentiel par deux États membres, la France et l’Allemagne.

Mais depuis le traité de Lisbonne et l’article 189 du traité sur le fonctionnement de l’Union, cette politique est devenue un domaine de compétences partagé entre l’Union et les États membres. Ce n’est pas un problème en soi, car des programmes comme Galileo ou GMES, Global Monitoring for Environment and Security, ont besoin de nouveaux financements, d’une impulsion permanente et d’une collaboration toujours plus forte.

Cependant, des ajustements sont nécessaires, ne serait-ce que pour éviter que les industries des deux pays que je citais à l’instant ne soient dépossédées de leurs outils, sans que de nouvelles dynamiques se mettent en place par ailleurs.

Parmi ces outils, ces richesses, ces moyens dont disposent la France et l’Europe, je pense en particulier au centre spatial guyanais. C’est un dispositif essentiel de cette politique en raison de sa localisation géographique, au niveau de l’équateur. De nulle part ailleurs aujourd’hui la mise en orbite de satellites géostationnaires n’est aussi fiable que depuis Kourou, quels que soient le type de lanceurs ou l’altitude visée, ce qui explique la très forte compétitivité du site.

Les écologistes soutiennent l’existence d’une politique spatiale européenne ambitieuse.

Mais il ne faudrait pas que son développement ignore certains principes.

Le premier de ces principes, c’est l’équité entre les diverses politiques, sciences ou disciplines dans l’accès aux financements publics. Aujourd’hui, le Parlement européen semble encore déterminé à faire amender le projet de budget présenté par les États membres. Des programmes comme GMES, devenu aujourd’hui Copernicus et dont certaines composantes nous plaisent plus que d’autres, ne doivent pas être les seuls à être préservés dans le programme de recherche et d’innovation de l’Union européenne à l’horizon 2020. Bien d’autres domaines, tout aussi fondamentaux, méritent également d’être sanctuarisés ou développés. On ne comprendrait pas que la France oublie cela en cherchant à favoriser sa propre industrie.

Le deuxième principe, c’est la « soutenabilité ». L’espace est une réalité durable. On peut en tout cas souhaiter qu’il le reste ! Mais la politique spatiale ne peut être durable sans, par exemple, une réflexion sur la gestion des satellites qui ont cessé d’être opérationnels. On compte environ 20 000 objets de plus d’une dizaine de centimètres placés en orbite autour de la Terre. Cela pose des questions évidentes en termes de sécurité et de pollution de l’espace. Une politique de surveillance de l’espace et des objets spatiaux est aujourd’hui nécessaire. La France et l’Allemagne l’appellent de leurs vœux et la Commission européenne vient de faire une proposition sur ce sujet, que je rapporterai prochainement devant la commission des affaires européennes.

Par ailleurs, le centre spatial de Kourou dont je rappelais l’importance stratégique pose lui-même des problèmes environnementaux en Guyane. Pour être durable, la politique spatiale européenne doit prendre pleinement en compte ces problématiques.

Enfin, et en guise de conclusion, le dernier principe renvoie à l’utilité citoyenne et pacifique de cette politique. La politique spatiale peut être d’une immense utilité pour la communauté. Mais elle peut aussi se révéler particulièrement dangereuse, si les grands acteurs de cette planète se mettent à militariser l’espace, voire à le transformer en arsenal. L’usage de satellites dans des buts sécuritaires ou militaires est évidemment déjà courant – je rappelle que le GPS que nous utilisons tous est un système de géolocalisation militaire américain –, mais nous avons su jusqu’à présent nous prémunir de toute dérive d’usage en la matière.

Veillons donc à ne pas courir le risque de voir de telles dérives se développer à l’avenir !