Proposition de directive sur le secret des affaires – et les lanceurs d’alerte ?

La commission des Affaires européennes du Sénat (la « CAE » pour la suite) a examiné pendant sa réunion du 4 juin une proposition de résolution européenne rédigée par Sophie Joissains, et portant sur le projet de directive relative au secret des affaires publiée par la Commission européenne à la fin du mois de novembre 2013. Il s’agissait de formuler une position officielle du Sénat sur ce qui n’est encore qu’un texte de travail, quoique tout à fait officiel, qui doit être examiné tant par le Parlement européen que par le Conseil des Ministres de l’Union européenne.

Seul membre écologiste de la CAE, j’ai également été le seul participant à cette réunion à voter contre la proposition de Sophie Joissains (trois autres membres se sont abstenus).

Cette résolution européenne, si elle émet quelques réserves sur le texte européen lui-même, lui apporte en effet un soutien de principe qui me paraît loin d’être satisfaisant, ceci pour au moins quatre raisons.

1. Une définition extrêmement large et imprécise.

La définition de la notion de « secrets des affaires » retenue dans la proposition de directive est extrêmement large et imprécise . Il s’agit certes de la reprise d’un texte conclu au niveau de l’OMC. Mais si une telle imprécision peut à la rigueur se comprendre au sein d’accords internationaux déjà anciens (1994), et dont la mise en application est toujours sujette à interprétations, elle semble beaucoup plus problématique au niveau d’un droit d’application aussi ferme que le droit européen…

2. Une approche déséquilibrée au détriment de la protection des lanceurs d’alerte.

Le texte renferme en outre un très grand déséquilibre entre d’une part la volonté de renforcer le secret des affaires au nom de la compétitivité et de l’économie européenne et d’autre part la protection des lanceurs d’alerte et des mécanismes permettant de détecter d’éventuels anomalies ou dysfonctionnements. Certes, il est fait à plusieurs reprises mention de ce que la protection des secret d’affaires s’entend dans un cadre qui respecte lui-même la légalité commerciale, pénale etc. Il est également fait mention du nécessaire respect de la liberté d’information et d’expression et de la défense «d’intérêts légitimes». Mais alors que le texte fourmille de précisions sur les mesures de protection de secrets des affaires eux-mêmes très largement définis, il ne contient à peu près rien pour contrebalancer efficacement les possibles abus et dérives qui seraient commis à la faveur de ces mêmes secrets des affaires… L’étude d’impact reste d’ailleurs extrêmement vague quant aux problèmes que l’adoption de cette directive pourrait poser en matière de liberté d’information.

3. Une vision économique trop classique.

On peut également noter que cette même étude d’impact reste floue quant à l’efficacité de telles mesures de protection des secrets des affaires sur la dynamisation de l’économie européenne et le renforcement de sa « compétitivité », pourtant présentés comme ses principaux objectifs. Il faut dire que le texte s’inscrit dans une vision très classique du fonctionnement de l’économie, jusqu’à exagérer possiblement l’importance de certains facteurs (notamment la propriété intellectuelle, même si elle n’est pas directement l’objet du texte) et à gêner à terme l’émergence de nouveaux modèles.

4. Une priorité qui n’en est pas une !

Dernier point enfin, on peut s’étonner de ce que la Commission européenne ait poursuivi l’examen prioritaire de ce genre de propositions alors mêmes que les signaux se multipliaient  depuis de nombreux mois (pour ne pas dire années) quant à la méfiance des citoyens vis-à-vis des institutions publiques, et singulièrement vis-à-vis des institutions européennes. Il existe déjà de nombreux textes en cours de préparation, négociation, finalisation qui renvoient d’une manière ou d’une autre à ce types de problématiques. L’attachement à ce sujet de la plupart des citoyens et acteurs intéressés par la construction européenne n’est pourtant pas flagrant (75 % des citoyens européens considèrent qu’il n’y a pas d’urgence à adopter un texte sur ce sujet !), tout comme l’intérêt qu’il y a à envoyer un tel signal alors que nous sortons tout juste, aujourd’hui, d’élections européennes particulièrement difficiles…

Je continuerai naturellement à suivre ce dossier, malgré le vote de la commission des Affaires européennes du Sénat, tant au niveau du Parlement et du gouvernement français qu’au niveau européen. Vous pouvez en attendant et pour plus de détails retrouver, ici, le compte-rendu analytique de la réunion de la CAE en date du 2 juin (texte de la résolution inclus), là le texte intégral de la proposition de directive, et enfin un article de Mediapart (accès payant) dont je partage en grande partie, et de manière manifeste, l’analyse et les inquiétudes.