Projet de loi de finances 2015 : explication de vote finale

Retrouvez ci-dessous le texte de l’explication de vote d’André Gattolin pour le groupe écologiste, préalable au vote du projet de loi de finances 2015 par le sénat ce jour (seul le prononcé fait foi).

« Monsieur le Président,
Monsieur le Ministre,
Mes chers collègues,

Cela faisait trois ans que nous n’avions eu l’occasion de nous réunir ainsi pour décider de l’adoption de la seconde partie d’un projet de loi de finances. C’est pourtant un des événements majeurs de l’année parlementaire – comme en témoigne la solennité du mode de scrutin – et que nous puissions y prendre part aujourd’hui est assurément une bonne nouvelle.

En effet, si comme il est probable, la majorité sénatoriale adopte le texte, nos collègues députés seront amenés à se prononcer sur quelques sujets que le Sénat, dans sa légendaire sagesse, a choisi de mettre en avant.

Je pense par exemple au consensus qui s’est dégagé autour du maintien de ces taxes, qualifiées de « petites », qui viennent abonder le budget des collectivités locales et tendent ainsi, modestement, à préserver leur fragile autonomie financière.

Je pourrais également citer la décision, quasi-unanime, de proroger le crédit d’impôt en faveur de l’agriculture biologique, si importante pour la mutation de notre économie rurale, en même temps que pour la qualité sanitaire et gustative de notre alimentation. Sans texte du Sénat, ces dispositions, bien que largement adoptées, ne pourraient même pas être soumises à l’Assemblée.

Si la seule existence d’un texte est donc déjà une réjouissance, cela n’empêche toutefois pas de s’interroger précisément sur son contenu.

Car au-delà de ces exemples que je viens d’évoquer, ce projet de loi de finances recèle quelques motifs d’inquiétude.

Que l’on ne s’y trompe pas, l’excédent de 30 milliards qu’arbore désormais ce budget n’est qu’un pur artefact.
Et je crois que toutes les travées de cet hémicycle en conviennent.

Mais du coup, mes chers collègues de l’opposition, quel sens faut-il donner à votre budget, que vous avez souhaité alléger de ses principales missions ?
Dans la mesure où vous aspirez, bien légitimement, à gouverner prochainement la France, telle est la question que nous sommes non moins légitimement en droit de nous poser.

Il y a dans votre démarche au moins un choix qui est dépourvu d’ambiguïté : c’est celui de limiter la baisse des dotations aux collectivités locales. Les écologistes, mes chers collègues, partagent également ce souhait. On reconnaît dans cette volonté le réalisme d’élus locaux qui au niveau leur commune, de leur département, de leur région sont confrontés aux besoins de la société.

En revanche, là où nous peinons à vous suivre, mes chers collègues, c’est lorsque vous honissez la dépense publique nationale, dans le même temps que vous louez la dépense publique locale. Honni soit l’Etat qui mal dépense et tout le pouvoir aux Conseils !
C’est cela que vous nous proposez mes chers collègues ! Vous avez certes encore un peu de temps, mais quand même, entre la droite bonapartiste et la droite girondine, il va vous falloir choisir.

A cette véritable schizophrénie, nous préférons pour notre part la cohérence qui consiste à envisager globalement la question de la dépense publique.

Cette posture, quant à la dépense publique nationale, vous a donc conduits, et c’est là la seconde tendance claire qui se dégage de votre travail, à proposer quelques mesures d’économies, choisies pour leur charge idéologique, au mépris de l’efficacité quand ce n’est pas du simple bon sens.

Vous nous avez proposé, mes chers collègues, de réduire le budget de l’aide médicale d’Etat.
Sans même qu’il soit besoin d’évoquer nos valeurs humanistes, comment ne pas voir, au moment où nous sommes menacés d’une pandémie du virus Ebola, l’absurdité, pour ne pas dire l’inconscience, d’une telle démarche ?

Vous nous avez proposé aussi de supprimer 9500 postes d’enseignants dans l’éducation nationale.

Alors que les journaux sont remplis de reportages sur ces classes dépourvues d’enseignants, alors que depuis plusieurs années consécutives, les concours de recrutement ne permettent plus de pourvoir tous les postes ouverts, il vous reviendra d’expliquer à nos concitoyens comment vous comptez assurer ce service public fondamental pour la cohésion de notre République.

Vous avez également choisi de supprimer des dizaines de milliers d’emplois aidés, au motif, il faut que nos concitoyens l’entendent, qu’ils s’adressent au secteur non-marchand. Comme si le travail marchand résumait à lui seul le travail ! Tout le travail !

Mais surtout, dans cette période où le Medef nous explique qu’il ne peut malheureusement pas embaucher malgré les 40 milliards qui lui ont été consentis, ceux de nos concitoyens en recherche d’emplois qui auraient pu prétendre à ces emplois aidés apprécieront certainement d’avoir été sacrifiés sur l’autel du dogmatisme.

Davantage de dotation pour les collectivités, quelques économies idéologiques… quel est donc le bilan de ces choix ? Eh bien le bilan, mes chers collègues, c’est 500 millions d’économies supplémentaires…
A peine plus que l’épaisseur du trait !

Et encore… Ce calcul ne prend évidemment pas en compte les missions rejetées. Car si l’on s’y arrête un instant, au-delà des apparences, non seulement il apparaît que ces suppressions de missions ne sont pas des économies, mais nous sommes même fondés à penser que vous avez dissimulé là un monceau de dépenses supplémentaires ! Que vous n’assumez pas !

Vous nous expliquez que la gauche sénatoriale, en 2011, sous la houlette de notre collègue Nicole Bricq, avait également supprimé des missions. C’est exact !
Mais c’était parce que nous considérions que les crédits de certaines missions étaient trop faibles. L’article 40 de la Constitution nous interdisant de les augmenter, nous n’avions d’autres choix que de les rejeter…

Et en réalité, cela semble également être votre cas, mes chers collègues. Si vous aviez simplement voulu faire davantage d’économies, il ne tenait qu’à vous de réduire les crédits. Ceci était, pour le coup, parfaitement faisable ! Mais c’est en fait le contraire que vous avez fait ! Sur la mission défense, vous prétendez que le compte n’y est pas, qu’il n’y a pas assez d’argent…

C’est une position respectable, mais ça ne fait pas pour autant une économie. Sur la mission enseignement supérieur et recherche, vous adoptez le rétablissement des crédits avant de rejeter la mission… Avez-vous eu des remords tardifs ? Où est la cohérence ?
Quel sens cela a-t-il ?

Mes chers collègues, à propos de l’article 30 sur le budget de l’Union européenne, j’avais, lors de mon intervention, évoqué le mystère mallarméen.

Aujourd’hui, c’est plutôt le surréalisme de la Trahison des images qui me vient à l’esprit et j’ai envie de vous dire, avec Magritte : « ceci n’est pas un budget ».

Cela y ressemble, cela en a l’apparence, mais ce n’est pas un budget.

Car vous prétendez urbi et orbi que votre ligne politique est une réduction du déficit encore plus drastique que celle du Gouvernement et vous nous proposez un texte désarticulé dont nous sommes fondés à penser qu’il masque en réalité une dégradation du solde par rapport au projet du gouvernement.

Avant que la droite ne remporte le Sénat, nous avions une idée claire de ce que voulait l’UMP : 150 milliards d’économies. C’est irréaliste mais c’est clair.
Maintenant que vous êtes en situation de responsabilité au Sénat, nous ne comprenons plus votre ligne politique.

Mais peut-être est-ce parce que l’UMP n’est pas absolument majoritaire, me direz-vous… J’y reviens donc, mes chers collègues : même si l’on ne sort de l’ambiguïté qu’à son détriment, entre la droite bonapartiste et la droite girondine, il vous faut choisir votre ligne…

J’avais eu l’occasion de l’exprimer lors de la discussion générale : le projet de loi du gouvernement n’emportait pas l’enthousiasme des écologistes.

Sans même parler de nos doutes, partagés par le Haut Conseil des finances publiques, quant au réalisme de la trajectoire des finances publiques, il nous a semblé que la démarche consistant à faire payer aux ménages et au service public, notamment celui de l’écologie, des baisses de cotisations sociales et d’impôts pour les entreprises, sans véritables contreparties, ne permet pas de conduire notre économie sur la voie d’une réelle transition écologique.

Nous aurions préféré un budget qui, dans cette période difficile, épargne les ménages et privilégie l’investissement stratège dans les filières d’avenir et la transition énergétique. Cela permettrait de ranimer une économie à bout de souffle, de préserver notre environnement et de générer, à moyen terme, de formidables économies, comme sur les importations d’énergie ou sur la santé.

Ne retrouvant pas réellement ces orientations dans le projet qui nous était soumis, nous avions décidé de nous abstenir. Parce que nous ne les retrouvons pas davantage, très loin s’en faut, dans le texte sur lequel nous nous prononçons aujourd’hui, mais surtout parce que nous dénonçons avec force la duplicité politique de ce travail, vous aurez compris, Monsieur le Président, Monsieur le Ministre, mes chers collègues, que les écologistes voteront résolument contre ce texte !

Je vous remercie. »

> Communiqué de presse du groupe écologiste : La droite sénatoriale échoue à construire un contre-budget