Ouverture du colloque sur l’Ours Polaire à l’UNESCO

J’introduisais ce vendredi le colloque consacré à l’ours polaire, organisé à l’UNESCO par l’association Action Poles. Ci-dessous le prononcé de mon intervention.

« Madame la déléguée du Canada à L’UNESCO, Son excellence Monsieur l’Ambassadeur du Canada, Mesdames, Messieurs les organisateurs, Mesdames, Messieurs,

Je tiens tout d’abord à vour dire tout le plaisir et l’honneur que je ressens d’ouvrir ce colloque sur l’ours polaire au côté de mon ami l’Ambassadeur du Canada en France, son Excellence Laurence Cannon.

Nous partageons lui et moi, comme sans doute vous tous, une profonde passion pour le monde arctique : ce vaste territoire de l’hémisphère Nord qui constitue le terrain naturel de cette espèce exceptionnelle qu’est l’ursus maritimus.

Espèce exceptionnelle, car en dépit de sa parenté avec les autres espèces d’ours, l’ours blanc représente une évolution singulière et étonnante de la famille des ursidés.

Son caractère exceptionnel en tant qu’espèce animale, mais tout autant en termes d’affect profond qu’il produit sur notre imaginaire collectif, n’a d’« équivalent » que le panda, cet autre ursidé qui réside en Chine centrale.

Mais plus encore que ce dernier ou même que certains grands félins emblématiques, l’ours blanc est sans doute le mammifère qui incarne le plus intensément notre fascination humaine pour le monde animal et pour la vie sauvage.

Il a, en effet, l’insigne honneur d’avoir donné – un peu sur un quiproquo – son nom à un vaste territoire de quelques 18 millions de km2 : je veux bien entendu parler de l’Arctique.

L’Arctique n’est pas un continent, mais il est néanmoins bien davantage que le plus septentrional de tous les océans de notre planète.
Il recouvre presque autant de terres que d’entendue maritime…

Au sens étymologique, « arctique » dérive d’ « arktos » qui en grec ancien signifie « ours ».

A l’origine, les explorateurs et géographes qui ont ainsi qualifié le grand océan glacial de la planète l’ont, on le sait, fait en référence à la constellation de la « Petite ourse » dont la planète la plus brillante : Alpha Ursea Minoris ou plus communément l’étoile polaire ; l’astre qui guidait le mieux les navigateurs en leur indiquant le Nord.

A une époque où nous nous orientons désormais avec des moyens technologiques sans pareil, l’ours blanc s’est d’une certaine manière substitué à l’étoile polaire dans notre imaginaire moderne pour symboliser et incarner, plus que tout autre, le fascinant et parfois inquiétant espace arctique.

Il suffit pour s’en convaincre de relever le nombre d’institutions arctiques qui prennent pour logo sa représentation graphique…

Et si l’homme est bel et bien présent en Arctique depuis des millénaires, c’est pourtant le seul grand espace géographique de la planète – à l’exception bien évidemment de l’Antarctique – dont l’appellation dérive du nom d’un animal.

Ceux qui aiment et connaissent le Grand Nord sont parfois gênés par cette quasi-exclusive que notre imaginaire populaire confère à l’ours blanc pour symboliser l’Arctique.

Nous faisons parfois fi de la riche et incroyable biodiversité qui habite cet espace au profit d’une seule espèce, si majestueuse soit-elle.

Nous négligeons parfois aussi la place ancestrale de l’homme dans cet espace et certains fustigent même souvent – par un occidentalo-centrisme déplacé – les populations autochtones, comme les Inuits, pour le prélèvement raisonné qu’elles opèrent sur la nature en chassant l’ours, le phoque ou le narval…

Au risque de choquer, ce n’est pas là – en tant qu’écologiste – ma vision de l’écologie.

Mais pour autant, et bien au-delà de la question cynégétique, l’ours polaire va mal et l’homme par ses autres activités est loin d’être exempt de toute responsabilité en la matière.

Si l’ours polaire symbolise, sans doute à l’excès, notre vision non-arctique de l’espace arctique, il n’en demeure pas moins très fortement exemplificateur des mutations et des bouleversements qui traversent aujourd’hui le monde arctique.

Il est en quelques sorte le « canari dans la mine » (« the Canary in the Mine ») de l’inquiétante évolution climatique, mais également de la multiplication des pollutions qui frappent nos océans et notre planète.

En bout de chaîne alimentaire, l’ours blanc accumule dans sa chair les pires polluants qui sont déversés dans nos rivières et nos mers de l’hémisphère Nord.

Les destinées de l’Arctique et de l’ours polaire sont évidemment liées. Si l’un va mal et bien l’autre ira mal aussi.

Le réchauffement climatique est une réalité, et cette réalité est bien visible en Arctique où elle plus de deux fois supérieure à celle du reste de la planète.

La fonte de la banquise et de la glace de mer en Arctique atteint en effet des records et l’année 2015 pourrait à ce titre marquer une étape supplémentaire dans cette escalade.

Je rentre d’un voyage d’études dans le nord canadien.
Lors de cette mission, nous avons survolé en avion la Baie-James.

Dans ce grand golfe situé dans le prolongement de la baie d’Hudson se trouve un chapelet d’îles dont les Twin Islands.

Sur ces îles, et après des épisodes de très grands froids qui ont marqué l’hiver et le printemps canadien – phénomène de vortex polaire – puis à la suite d’un dégel très rapide à la fin du printemps, une petite colonie d’ours polaires – environ une vingtaine – se sont retrouvés ainsi piégés à hauteur du 53 ème parallèle.

Contrairement à l’ours brun qui n’hésite pas à descendre en latitude  et à s’approcher des habitations humaines pour trouver la nourriture qui lui manque, il est extrêmement rare que l’ours polaire s’aventure autant au Sud.

Ses habitudes le conduisent au contraire à tenter d’aller toujours plus au Nord.

Il est fort probable que la petite colonie d’ours blancs des Twin Islands n’aient rien de migrants volontaires, mais soient effectivement les victimes des perturbations climatiques de plus en plus fréquentes qui affectent notre planète.

L’étude de l’ours blanc, comme celle de nombre d’espèces d’oiseaux migrateurs, est capitale pour comprendre les bouleversements profonds qui résultent du changement climatique et qui ne se limitent pas à la fonte des glaces et à la montée des océans.

Il faut cependant se garder d’anthropomorphiser à l’excès notre vision de l’ours blanc comme l’imaginaire populaire couplé à la simplification médiatique opérée par l’époque nous y conduit souvent.

Passionné par les questions polaires et subarctiques, rapporteur au Sénat sur ces questions, je suis parfois traversé par un sentiment contradictoire quand je vois la multiplication des reportages télévisés sur l’Arctique et en particulier sur l’ours blanc et la manière souvent excessivement simplificatrice et spectaculaire dont ces sujets sont traités.

Le monde Arctique et les questions qui le traversent sont multiples et les solutions à apporter pour sa préservation sont complexes et l’impact de chaque action prise séparément peut parfois avoir des effets collatéraux paradoxaux.

Protéger l’ours polaire à travers la création d’espaces protégés ou l’introduire dans la catégorie des espèces protégées comme cela a été fait en Alaska est très important.

Mais cela ne résout pas tout et peut conduire parfois à des effets de surpopulation locale et de déséquilibres de la biodiversité pendant que le déclin de la population globale des ours blancs continue par ailleurs.

La survie durable de l’espèce est intimement liée à la préservation de son milieu, lui-même extrêmement dépendant des évolutions climatiques qui sont en cours et qui ne manquent de nous inquiéter.

C’est pourquoi la réussite de la prochaine Conférence des Nations unies sur les changements climatiques, dite COP21, qui se déroulera à Paris du 30 novembre au 11 décembre 2015 est essentielle pour le sujet qui nous préoccupe.

Je regrette d’ailleurs au passage qu’aucun atelier n’a pour l’instant été prévu pour parler dans ce cadre de l’avenir de l’Arctique.

Mais là encore, les engagements nationaux et internationaux qui pourraient être pris dans le cadre de la COP 21 ne seront rien si tous les acteurs de la société ne s’investissent pas et si nous ne disposons pas d’une connaissance approfondie et partagée de tous les sujets qui sont étroitement liés à la question du changement climatique.

D’où l’importance de la tenue aujourd’hui dans l’enceinte de l’Unesco de ce 3ème colloque sur l’ours polaire.

La richesse et la diversité du panel des intervenants à ce colloque qui associe chercheurs, associations et détenteurs de ce qu’on appelle les « savoirs traditionnels » me paraît absolument essentielle dans la démarche qui doit être la nôtre et qui doit guider l’action politique et l’action diplomatique.

Je vous remercie et vous souhaite de fructueux échanges ! »