[Le Monde] La suppression de la publicité pour enfants fait débat entre socialistes et écologistes

Après une forte mobilisation des députés écologistes, l’Assemblée nationale a adopté, jeudi 14 janvier dans la soirée, une proposition de loi supprimant la publicité dans les programmes pour enfants de France Télévisions.
Le texte, voté par le Sénat fin octobre dans une version légèrement différente, vise les émissions destinées aux enfants de moins de douze ans ainsi que durant les quinze minutes qui les précèdent et qui les suivent.

L’adoption de la proposition de loi a été possible en raison du faible nombre de députés socialistes présents dans l’Hémicycle. En effet, la ministre de la culture et de la communication, Fleur Pellerin, et le groupe socialiste à l’Assemblée nationale avaient affiché leur désaccord face à ce texte.

La proposition de loi doit retourner en deuxième lecture au Sénat où elle sera probablement votée, puis revenir à l’Assemblée, ce qui laisse la possibilité au gouvernement et au groupe socialiste de revenir sur sa suppression lors de la navette parlementaire.

Dans l’exposé des motifs de la proposition de loi, les élus écologistes soulignent qu’avec « 8,3 millions de jeunes de 4 à 14 ans, la France est aujourd’hui le principal marché “enfants” pour les annonceurs publicitaires à la télévision, devant le Royaume-Uni et l’Allemagne ». Les partisans de ce texte souhaitent donc protéger les enfants de moins de 12 ans des messages publicitaires, notamment alimentaires.

Rédactrice de la proposition de loi, l’écologiste Michèle Bonneton a argumenté jeudi dans l’Hémicycle que la jeunesse « pâtissait physiquement et psychologiquement d’une surexposition aux messages publicitaires ».
Autre partisan de cette suppression, le sénateur écologiste André Gattolin a dénoncé dans une tribune sur le Huffington Post que « la quasi-totalité des spots diffusés dans les émissions pour enfants demeurent orientés vers des produits saturés en sucre ou en gras ».

Lors du débat à l’Assemblée nationale, jeudi soir, Mme Bonneton est également revenue sur la suppression totale de la publicité sur France Télévisions entre 20 heures et 6 heures mise en place en 2009. Une occasion manquée de protéger les jeunes, selon elle.

« N’aurait-il pas été préférable de commencer par protéger les publics les plus fragiles, c’est-à-dire les enfants ? La situation actuelle est donc paradoxale : France Télévisions ne peut diffuser de messages publicitaires en soirée, au moment où ils sont vus par les adultes et où ils sont les plus rémunérateurs, mais elle est en revanche autorisée à en diffuser en journée, à un moment où ils sont vus notamment par les enfants, souvent en l’absence de leurs parents, et où ils rapportent de moins en moins. »

Les partisans d’une suppression de la publicité lors des programmes pour enfants mettent également un sondage IFOP, commandé par M. Gattolin et publié en septembre 2015. Dans cette étude, 71 % des personnes interrogées sont favorables « à la suppression de la publicité commerciale dans les émissions destinées à la jeunesse et aux enfants sur les chaînes de la télévision publique ».

Les députés socialistes se sont fait surprendre par la mobilisation de leurs collèges écologistes, jeudi. Même si Mme Pellerin a tenté de faire traîner les débats pour rameuter les troupes socialistes, cela n’a pas suffi.

La ministre a notamment mis en garde contre le handicap financier qui pèserait sur le groupe public en cas de suppression d’une partie de la publicité.
« La situation financière de France Télévisions est préoccupante. Les recettes publicitaires ont diminué de 100 millions d’euros entre 2010 et 2014 et ce dispositif se traduira par un manque de 15 à 20 millions d’euros. »
Un manque à gagner que M. Gattolin chiffre, lui, à 7 millions d’euros. La députée socialiste du Loiret Valérie Corre, qui « souscrit pleinement » à la suppression de la publicité commerciale dans les programmes jeunesse, doute de « l’efficacité » de cette proposition de loi.

« On peut, par exemple, parler du danger que représentent certains programmes de téléréalité et des publicités qui leur sont associées, devant lesquelles un certain nombre d’enfants se trouvent. Attention donc à ne pas créer une situation de régulation très inégalitaire entre médias et, de ce fait, inefficace, sous prétexte du devoir d’exemplarité du service public. »

Elle demande qu’un rapport soit remis au plus tard le 30 juin 2017, soit après les élections présidentielle et législatives, « avec une étude d’impact claire et complète sur les conséquences de cette disposition ».
Pour la communiste Marie-George Buffet, « les enfants de moins de 12 ans regardent principalement les chaînes privées TF1, M6 et Gulli ». « Les annonceurs du secteur alimentaire pour la catégorie “enfants” investissent d’abord dans les chaînes privées », a-t-elle fait savoir, jugeant « immoral » que ces chaînes bénéficient d’une suppression de la publicité sur France Télévisions.

Enfin, les opposants à cette proposition de loi rappellent que France Télévisions dispose déjà de programmes sans publicité, destinés à la catégorie des enfants de 3 à 6 ans. C’est le cas par exemple de l’ensemble des émissions « Les Zouzous » sur France 5.

De nombreuses études ont mesuré le lien entre les publicités et les choix des enfants devant les rayons. Les partisans de la proposition de loi s’appuient notamment sur une étude Ipsos-Lagardère publicité qui montre que plus des trois quarts des demandes ou des achats effectués par les enfants de 4 à 10 ans sont en lien avec une publicité. Et 82 % des enfants interrogés disent qu’il leur arrive régulièrement de demander ou d’acheter un produit « vu à la télévision ».

D’après une étude réalisée par Hélène Escalon, de l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé (Inpes) en mai 2014, « les trois quarts des investissements publicitaires alimentaires (72 %) réalisés sur les écrans télévisés jeunesse, soit 29,7 millions d’euros, portent sur des produits gras, sucrés et/ou salés ».
Enfin, une autre étude sur « L’impact du marketing sur les préférences alimentaires des enfants », réalisée en septembre 2014 par les universitaires Marine Friant-Perrot et Amandine Garde, fait la corrélation entre publicité et choix de l’alimentation.

« Concernant la prise alimentaire, les études établissent un lien entre l’exposition élevée à la publicité alimentaire et la modification des préférences alimentaires, les prescriptions d’achat et les habitudes de consommation. Le temps passé devant la télévision et devant les spots promotionnels est corrélé à l’augmentation de la consommation d’aliments denses en énergie et pauvres nutritionnellement. »

D’autres pays ont déjà fait le choix de supprimer la publicité en direction des enfants. C’est par exemple le cas au Québec (Canada) depuis 1980, en Suède depuis 1991 et en Norvège depuis 1992. En Australie, il est interdit de faire de la publicité à la télévision sur les programmes destinés aux enfants d’âge préscolaire. Enfin, depuis le 1er janvier, Taïwan a interdit la publicité télévisuelle faisant la promotion de la « malbouffe » à destination des enfants.

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Photo Lionel Bonaventure / AFP