Sauver nos forêts de la logique marchande !

Les Hauts-de-Seine sont un département fortement urbanisé qui contient de nombreux espaces forestiers essentiels au cadre de vie des Altoséquanais ainsi qu’à l’équilibre écologique de ce territoire. Nous sommes dépositaires de deux forêts domaniales : celle de Fausses-Reposes (372 de ses 616 hectares sont situés dans le département) et celle de Meudon, forêt la plus proche de Paris et la plus vaste des Hauts-de-Seine.

A ce titre, notre département est touché par les politiques menées depuis plusieurs années à l’encontre de l’ONF (Office National des Forêts), et qui ont été renforcées depuis qu’Hervé Gaymard est à la tête de cet Office placé sous l’autorité du ministère de l’Agriculture et de la Pêche ainsi que de celui de l’Écologie, de l’Énergie, du Développement durable et de l’Aménagement du territoire. Ces politiques ont deux objectifs majeurs : réduction des effectifs et rentabilité. La dimension écologique proprement dite des espaces forestiers, tant vantée dans le Grenelle de l’environnement, ne constitue plus la pierre angulaire des politiques publiques en matière forestière et d’espaces boisés. Tout au plus, lui reconnaît-on une dimension récréative pour des populations urbaines de plus en plus coupées de la nature…    Réduction des effectifs et vague de suicide à l’ONF   Le nouveau contrat Etat-ONF pour la période 2011-2014 prévoit d’amputer les effectifs de 693 équivalents temps plein, dont 500 fonctionnaires, alors que pendant la période 2001-2011, l’Office a subi une réduction de 1,5% de son personnel par an sous forme de départs à la retraite non remplacés. Les effectifs ont été diminués de plus du tiers en 25 ans.

Le périmètre d’intervention de chacun des agents – somptueusement rebaptisés « agents du patrimoine » – est donc passé de 800 à 1500 hectares. Cette pression accrue sur les personnels s’est traduite par de nombreux suicides de gardes forestiers : quatre depuis juin 2011 ; vingt-quatre depuis 2005. Les rares embauches concernent essentiellement des cadres qui doivent devenir de véritables managers. Ces créations d’emplois, sous droit privé, ne permettent pas de pallier le manque d’effectifs et les mettent en concurrence avec les fonctionnaires. D’autant plus que, lorsque le manque de personnel est trop criant pour effectuer certaines tâches, on fait appel à des contractuels, première étape vers la sous-traitance et la privatisation. En effet, l’ONF qui a le statut d’EPIC – établissement public à caractère industriel et commercial – est désormais gérée comme une entreprise privée avec des systèmes de primes.

Le Président de la République a ainsi promis aux agents la redistribution de la moitié des économies réalisées sous forme de primes. En réponse à des déficits chroniques, dus à la baisse du cours du bois, l’ONF a mis en place des contrats d’objectifs. L’Office n’est plus tourné vers le long terme mais le productivisme sans gestion globale du patrimoine forestier et de la biodiversité. Avec l’éclatement de l’ONF en trois grands secteurs d’activité, les gardes forestiers ont perdu le caractère généraliste de leur métier.   Déqualification et déshumanisation du métier   Ces gens sont pourtant passionnés par leur profession qui originellement consistait à travailler dans la nature et pour la nature. Les nouvelles ambitions de l’ONF, au-delà de l’aspect purement comptable, traduisent une nouvelle philosophie : faire de l’argent. De nombreux témoignages de gardes forestiers, rapportés par la presse ou trouvés sur des forums Internet, expriment leur désarroi : « ce métier était un service public qui consistait à transmettre une forêt à ses successeurs.

Aujourd’hui on exploite le bois de façon mercantile. Les quotas de production sont fixés en contradiction avec la régénération de la forêt ». La gestion se trouve de plus en plus déshumanisée : « Avant 2002, les ouvriers forestiers étaient gérés sur le terrain par les agents patrimoniaux », explique Pascal Viné, directeur général de l’ONF. Avec la réforme, ils ont rejoint des agences qui pilotent à distance les travaux. « Cette perte de proximité avec les ouvriers forestiers a conduit à un isolement croissant des 3 000 agents patrimoniaux, répartis sur 4,8 millions d’hectares. »    Les Hauts-de-Seine ne sont pas épargnés   Illustration de cette politique : dans la forêt de Meudon, il y avait autrefois une quinzaine de gardes forestiers ; il n’existe plus aujourd’hui qu’un poste et demi. Dans la forêt de Fausses-Reposes, des abattages ont eu lieu au mois de mars, période de nidification. Quid de la protection de la faune ? Une réunion organisée le 15 janvier dernier en mairie de Chaville n’a pas permis d’obtenir beaucoup d’informations : les représentants de l’ONF ont déclaré ne pouvoir répondre à aucune question et les chiffres auraient été oubliés dans la voiture ! Au nom de la rentabilité et de la logique économique, à l’opposé de l’impératif environnemental et de la fonction récréative des forêts, des coupes sèches (sans replanter ou alors en replantant des espèces à croissance et rendement rapide) sont réalisées, sur lesquelles les associations n’ont pas – ou peu – d’informations.

La gestion des forêts a fait l’objet de plusieurs rapports. L’un d’entre eux du 21 octobre 2009, réalisé par la Commission des finances du Sénat, ne traite que de l’aspect comptable en préconisant, notamment, des efforts dans le domaine des ressources humaines. Un autre rapport, présenté au Président de la république le 15 octobre 2010 par Hervé Gaymard, vise à mobiliser plus de bois tout en préservant la biodiversité ! Mais prétendre conjuguer RGPP, rentabilité à outrance et Grenelle de l’environnement est absurde. Comment, en effet, concrétiser ce qu’a annoncé Nicolas Sarkozy le 19 mai 2009 à Urmatt : « A l’horizon 2012, la filière devrait produire 12 millions de m3 supplémentaires de bois et créer 30 000 emplois » ?

Ainsi, dans le contrat d’objectifs 2012-2016, les objectifs de production sont en hausse avec des moyens en baisse. Pour répondre à la vague de suicides, ce protocole prévoit un doublement des effectifs d’assistantes sociales, qui sont dix aujourd’hui, un vaste audit social ainsi qu’un numéro vert… Les syndicats, de leur côté, ont exigé un arrêt immédiat des suppressions de postes.   Dans un espace départemental en pleine densification, les grands équilibres écologiques et le cadre de vie des Altoséquanais ne doivent pas partir en fumée sur le bûcher de la rentabilité économique.   André Gattolin