« En tant qu’écologiste, je me félicite de l’inflexion clairement civile que porte ce traité »

André Gattolin est intervenu en séance publique le 18 juillet 2012, en remplacement de Leïla Aïchi, dans le cadre de la discussion portant sur le « traité d’amitié et de coopération entre la République française et la République Islamique d’Afghanistan ». L’occasion de rappeler qu’au-delà du cas afghan, paix et développement durable (sous tous ses aspects) sont étroitement liés.

Le traité a été ratifié par le Sénat, avec l’approbation du Groupe écologiste.

Seul le prononcé fait foi

Monsieur le Président, Monsieur le Ministre,

Monsieur le Rapporteur et Président de la Commission,

Mes chers collègues,

Nous devons aujourd’hui nous prononcer sur le projet de loi autorisant la ratification du traité d’amitié et de coopération entre la République française et la République Islamique d’Afghanistan.

Cet accord est l’aboutissement d’un processus relativement rapide qui a débuté à l’occasion du déplacement du Président Sarkozy à Kaboul le 12 juillet 2011.

Un projet de traité a été présenté par le ministre d’Etat, ministre des Affaires étrangères et européennes à son homologue afghan lors de sa visite à Paris, le 26 octobre dernier. Les négociations n’ont rencontré aucune difficulté majeure et ont permis d’aboutir à un accord sur l’ensemble du texte le 3 janvier 2012.

Le traité a été signé le 27 janvier 2012 par nos deux pays. Le programme de coopération quinquennal, qui complète le traité, a été paraphé le même jour par les ambassadeurs de France et d’Afghanistan.

Ce nouveau traité entend ainsi rationaliser le cadre juridique de l’ensemble de la relation franco-afghane en regroupant en un seul instrument les différents volets de notre coopération.

D’après l’article 13, son entrée en vigueur entraînera l’abrogation de l’accord de coopération culturelle et technique entre le gouvernement de la République française et le gouvernement du Royaume d’Afghanistan du 21 août 1966, qui constituait jusqu’à présent l’épine dorsale de la coopération entre les deux pays.

La France, engagée sur le théâtre d’opération afghan depuis 2001, entend dorénavant modifier la nature de son engagement, parallèlement au retrait progressif de ses forces combattantes.

Ce traité marque le passage d’une vision principalement axée sur une démarche militaire à une conception beaucoup plus marquée par une approche civile.

L’Afghanistan s’efforce désormais de s’inscrire dans une certaine normalité au niveau de la vie internationale.

En témoigne la conclusion de partenariats avec d’autres Etats comme l’Inde (signé en octobre 2011) ou les Etats-Unis (actuellement en préparation).

Le pays tente de se relever d’une situation sécuritaire particulièrement chaotique depuis l’intervention soviétique de 1979. La stabilité intérieure reste plus que jamais un sujet de préoccupation.

Carrefour de l’Asie, l’Afghanistan a entretenu, tout au long de son histoire tumultueuse, des rapports tourmentés avec le monde extérieur, puisqu’il a connu à maintes reprises la présence de forces étrangères sur son sol, qu’il s’agisse des Britanniques entre 1840 et 1919,des soviétiques de 1979 à 1989,ou de la coalition internationale formée par 49 pays depuis 2001.

La mise en place et la pérennisation d’un Etat de droit représentent ainsi les défis majeurs de l’Afghanistan. En effet, la viabilité d’un pays dépend avant tout de la robustesse de ses institutions.

 

Dans cette optique, comme décrit dans l’article I, le traité d’amitié se donne un double objectif :

  • Perpétuer les liens d’amitié, de paix et de solidarité qui unissent les deux pays ;
  • Etablir des programmes quinquennaux de coopération dans les domaines de la sécurité, de la justice, de la démocratie, de l’agriculture, de l’éducation, de la santé, de l’archéologie, de la culture, des infrastructures, des ressources minières, et de la formation des cadres civils.

Composé de 13 articles, ce traité s’efforce donc de couvrir les domaines administratifs, sécuritaires, économiques, sociaux et financiers.

L’article 2 prévoit la création de trois commissions mixtes autonomes : une commission pour le suivi des programmes de coopération, une commission politico-militaire, et une commission de sécurité intérieure.

L’article 3 aborde le volet purement « sécurité et  défense » de la coopération.

L’article 4 porte sur la coopération agricole et le développement du monde rural.

L’article 5 couvre l’aspect sanitaire de la coopération, visant notamment à réduire le taux de mortalité maternelle et infantile et à améliorer l’accès aux soins.

Les articles 6 et 7 traitent de la coopération en matière d’éducation, d’enseignement supérieur et d’échanges culturels, avec l’objectif de protéger et de mettre en valeur le patrimoine archéologique, historique et artistique de l’Afghanistan.

L’article 8 développe le thème de la gouvernance démocratique, en insistant en particulier sur la protection des droits des femmes et leur accès à la justice.

Les articles 9 et 10 portent sur le développement des infrastructures afghanes et sur les questions économiques, financières et commerciales.

Quant aux trois derniers articles, ils sont surtout d’ordre administratif.

L’article 11 traite des dispositions fiscales relatives aux institutions et personnels français qui participent à la relation bilatérale.

L’article 12 aborde notamment les questions d’immunité relatifs au personnel coopérant français, ainsi que les problématiques techniques comme l’attribution du port d’armes par l’Etat d’accueil pour les agents concernés.

Comme nous l’avons vu précédemment, l’article 13 signifie que l’entrée en vigueur du traité abrogera les instruments juridiques qui ont précédemment existé, c’est-à-dire l’accord de coopération culturelle et technique et ses annexes entre le gouvernement de la République française et le gouvernement du Royaume d’Afghanistan du 21 août 1966.

En tant qu’écologiste, je me félicite de l’inflexion clairement civile que porte ce traité.

En effet, l’établissement et le développement d’un Etat de droit légitime et efficace représentent les conditions indispensables à l’épanouissement d’une société civile apaisée en Afghanistan. Une réponse purement militaire ne peut être viable à long terme si l’on souhaite voir naître un Afghanistan plus démocratique et plus sûr.

En revanche, je note l’absence d’un volet environnemental dans ce traité, ce que je trouve fort dommageable, vu l’impact écologique néfaste que les conflits successifs ont eu sur l’Afghanistan.

Ainsi, le Colloque « Guerre et environnement », organisé au Sénat le jeudi 6 mars 2008, rappelait que l’Afghanistan avait vu près de 95% de ses forêts détruites par des décennies de conflit.

Dès 2003, un rapport du Programme des Nations Unies pour l’Environnement, réalisé en collaboration avec les autorités afghanes sur les conséquences des conflits en matière environnementale et sanitaire, soulignait que le pays était au bord d’un véritable désastre environnemental, constituant un frein important à la reconstruction du pays.

Le rapport d’évaluation avait été mené par une vingtaine de scientifiques afghans et internationaux, ayant examiné près de 38 sites urbains dans quatre villes et 35 site ruraux.

Le tableau alors dressé se révéla extrêmement préoccupant. Les phénomènes de déforestation et de désertification s’étaient vus aggravés par une pollution désastreuse – décharges toxiques, réseaux d’égouts dévastés, raffineries et usines totalement hors normes.

En outre, des tests effectués sur l’eau potable révélèrent de très fortes concentrations en bactéries provenant du réseau d’égouts, créant une menace importante pour la santé publique et notamment à destination des enfants susceptibles de contracter le choléra.

Les différentes investigations menées par le PNUE avaient constaté l’état de délabrement, les pollutions engendrées, le manque de maintenance, de moyens et de compétences dans le secteur industriel, présentant ainsi des risques pour les populations limitrophes et les enfants qui y travaillent sans protections.

Mr. Toepfer, alors directeur exécutif du PNUE, souligna qu’il était évident qu’une grande partie des efforts pour la reconstruction du pays devrait passer par une restauration de l’environnement, en rappelant que plus de 80% des Afghans vivaient en zone urbaine et ils qu’avaient vu leurs ressources vitales – eau pour l’irrigation, bois pour le feu et le carburant – perdues en seulement une génération.

Il faut vraiment intégrer le fait que les questions de sécurité et de préservation de l’environnement sont intimement liées.

À ce titre, l’évaluation de l’environnement rural révéla d’importantes pertes de surfaces boisées dans la plupart du pays durant les trente dernières années.

Cela est dû à l’économie mise en place sous les Talibans, qui exportaient leur bois principalement vers le Pakistan, mais aussi aux conflits qui incitaient les militaires à déboiser des zones pouvant servir de camps retranchés et favorables aux embuscades.

Aussi le PNUE formulait-il 163 recommandations pour renforcer la législation sur l’environnement, développer des emplois, reconstruire les infrastructures, évaluer les impacts des pollutions, améliorer la qualité de l’eau, de l’air, des sols, établir des zones protégées, reboiser, lutter contre la désertification, permettre l’accès aux ressources vitales, redévelopper l’agriculture…

La problématique environnementale n’est donc pas accessoire. Elle revêt même une dimension stratégique essentielle.

Dans cette perspective, il aurait été pertinent, selon nous, de rajouter un quatorzième article définissant de manière précise une coopération environnementale entre la France et l’Afghanistan, cette dernière passant par un renforcement des liens entre les institutions compétentes, ainsi que par la mise en place de formations spécifiques développées pour les futurs cadres de la société afghane.

En outre, l’article 2 du traité aurait pu être enrichi par la création d’une quatrième commission mixte autonome ne traitant exclusivement que des questions environnementales.

A défaut de voir tous ces éléments compris dans le traité lui-même, le gouvernement pourrait peut-être les inclure dans les programmes de coopération et de développement qui y seront attachés dans le futur, et dont un axe fort pourrait justement être d’agir sur les questions environnementales et de soutenabilité.

Voyez-vous, mes chèr(e)s collègues, le cas afghan est symbolique des conséquences dramatiques des conflits armés sur l’environnement.

Il est essentiel de comprendre que la paix et le développement durable sont intrinsèquement associés.

Ces observations faites, je pense malgré tout que ce texte représente une avancée pour le développement de l’Afghanistan par son approche à dominante civile, ainsi que par les multiples programmes de coopération qu’il contient.

Le projet de loi autorisant la ratification du traité d’amitié et de coopération entre la République française et la République Islamique d’Afghanistan va donc dans la bonne direction. En conséquence, le Groupe écologiste votera en sa faveur.

Je vous remercie.