Réforme des rythmes scolaires et territoires : débat au Sénat

André Gattolin est intervenu mardi 21 janvier au Sénat à l’occasion du débat sur les rythmes scolaires initié par une proposition de loi du groupe UMP abrogeant le retour à la semaine de 4 jours et demi. En tant que Vice-Président de la mission commune d’information, il a souligné le caractère précipité de cette PPL et appelé à une nécessaire évaluation de la mise en œuvre de la réforme ainsi qu’à une réflexion plus globale sur la question des rythmes.

Monsieur le Président,

Monsieur le Ministre,

Madame la Présidente de commission,

Monsieur le Rapporteur,

Mes chers collègues,

 

La proposition de loi présentée par notre collègue Jean-Claude Gaudin au nom du groupe UMP vise à donner aux maires la compétence d’organiser le temps scolaire des écoles élémentaires situées sur le territoire de leurs communes.

Avant d’en venir au sujet de la réforme des rythmes scolaires en soi, permettez moi de m’arrêter un moment sur une interrogation préalable d’ordre juridique.

Selon le code de l’éducation : «l’éducation est un service public national dont l’organisation et le fonctionnement sont assurés par l’État » en conformité avec les principes affirmés par le préambule de la Constitution qui stipule que «la Nation garantit l’égal accès de l’enfant et de l’adulte à l’instruction, la formation professionnelle et à la culture ».

Convenons ensemble que cette PPL en disposant que le temps scolaire ne relèverait plus de l’Education Nationale s’inscrit dans une logique toute autre.

Sous couvert « d’assouplissement législatif », c’est une sérieuse dérogation au caractère national du service public de l’Education dont il s’agit.

Il est légitime d’en débattre dans notre hémicycle mais comprenez aussi que cette orientation puisse interpeller les parlementaires que nous sommes.

L’école de la République c’est d’abord offrir à chaque citoyen la même qualité d’enseignement sans distinction sociale ou géographique, dans un souci d’égalité des droits.

Proposer un règlement à la carte, c’est fragiliser un service public essentiel, c’est prendre le risque d’une école à plusieurs vitesses.

Il n’est pas question ici de nier le rôle des communes et de leurs maires dans l’éducation. Leurs prérogatives et leurs responsabilités sont d’ailleurs reconnues dans le code de l’éducation concernant les heures d’entrée et de sortie des élèves, la charge des écoles publiques ou l’organisation des modalités d’accueil pendant le temps périscolaire.

L’article 2 du décret du 24 janvier 2013 précise d’ailleurs qu’ils sont consultés par le directeur académique des services de l’éducation nationale (DASEN) pour l’organisation de la semaine scolaire de chaque école du département dont il a la charge.

Plus important encore, le nouvel outil des projets éducatifs de territoire adopté dans le la cadre de la loi de refondation de l’école du 9 juillet 2013, ouvre la possibilité aux Maires en lien avec les équipes pédagogiques, les associations et les parents de co-élaborer les politiques éducatives au plus près des territoires et dans l’intérêt des enfants notamment de définir ensemble le rythme le plus approprié pour mener les activités choisies et adaptées à chaque école.

Les maires ont donc une certaine latitude pour administrer leurs territoires dans le champ éducatif.

Ce cadre réglementaire national nous paraît donc compatible avec un minimum de souplesse de mise en oeuvre au niveau local. Un élément important, car c’est au plus près des spécificités territoriales que nous construirons l’école de demain, ouverte aux innovations et à la diversité des parcours.

Plus généralement, le groupe écologiste considère que le retour à la semaine de 4 jours et demi constitue une avancée positive pour faire reculer l’échec scolaire et améliorer le bien-être des enfants.

Depuis septembre 2013, 1,3 millions d’élèves soit 22% des effectifs bénéficient désormais de la nouvelle organisation du temps scolaire.

Nous ne nions pas les difficultés qui peuvent se faire jour : journée supplémentaire de ramassage scolaire, difficulté de trouver un personnel qualifié notamment dans certaines zones rurales, définition délicate des activités adaptés dans des classes multi-niveaux…

Mais prenons le temps d’évaluer les résultats de cette première tranche pour définir les ajustements nécessaires en écoutant les retours de l’ensemble de la communauté éducative.

Cette évaluation partagée sera déterminante pour réussir une réforme juste qui permette de faire réellement reculer les inégalités.

L’égalité des territoires et l’égalité des citoyens face au service public sont des sujets sérieux ; ils ne doivent pas êtres bradés. Cela suppose que nous soyons à l’écoute des difficultés financières de certaines communes, que nous soyons vigilants sur la pérennisation des fonds d’amorçage et offensifs sur les possibilités de péréquation.

Votre texte, mes chers collègues de l’opposition, manque à la fois de cohérence et d’ambition. Il est aussi « précipité » alors qu’une Mission commune d’information a été mise en place, à votre demande, et qui doit permettre au Sénat de définir – sur la base des expériences des municipalités, des experts, du corps enseignant et des parents d’élèves, les améliorations nécessaires.

Le calendrier rapide choisi par le groupe l’UMP pour présenter cette PPL court-circuite ce travail en cours de la Mission Commune d’Information. Nous regrettons vivement ce télescopage.

Si l’opposition voulait être constructive, pourquoi ne pas attendre le bilan de cette MCI que vous avez initiée ? Nous pourrions ainsi jeter les bases d’une réflexion beaucoup plus ambitieuse en repensant, comme le groupe écologiste le souhaite, l’ensemble des rythmes, non seulement sur la journée et la semaine mais également sur l’année et sur les cycles scolaires.

Nous sommes le seul pays en Europe à avoir des programmes aussi denses et huit semaines de vacances l’été ! Pour des raisons aussi bien politiques que socio-économiques très bien remises en perspective par M. Fotinos, ancien inspecteur général de l’Education nationale, auditionné la semaine passée dans le cadre de nos travaux parlementaires.

Mes chers collègues , l’école publique est un bien commun qui mérite que nous rassemblions nos énergies et notre volonté au service de la réussite et du bien-être des enfants et des bonnes conditions de travail des enseignants.

Il ne s’agit pas, encore une fois, de nier la légitimité du Sénat à légiférer sur ces questions importantes mais de remettre l’intérêt général au cœur des débats. Le groupe écologiste votera donc contre cette proposition de loi dans l’attente des résultats de nos travaux et des évaluations à venir.

Je vous remercie