Il nous faut une Commission stratège !

André Gattolin a pris la parole ce lundi 23 juin, au nom du Groupe écologiste du Sénat, à l’occasion du débat préalable au Conseil européen.

Monsieur le Président, Monsieur le Ministre, Mes chers collègues,

Le moins que l’on puisse dire c’est que ce Conseil européen sera, une fois de plus, très chargé !

L’ordre du jour officiel comporte plusieurs dossiers lourds, auxquels – quoique non-inscrit au programme – il convient d’ajouter d’autres points non moins sensibles !

Cette réunion sera – rappelons-le – la première rencontre formelle des Chefs d’Etats et de gouvernements depuis les élections du 25 mai dernier.

C’est donc de la stratégie et des politiques des institutions européennes dans leur ensemble et pour les cinq années à venir dont il sera question en réalité.

Avec une double interrogation que nous partageons tous :

D’une part, celle qui concerne le choix des personnes qui seront amenées à – espérons-le – incarner l’Europe…

D’autre part, celle qui se rapporte à l’organisation, la répartition des tâches et des responsabilités, et donc aux priorités dont cette nouvelle répartition sera la traduction concrète.

On aurait tort de mépriser ce dernier aspect : car cela aura bien été, au final, l’une des plus grandes faiblesses de la Commission sortante.

Faute de volonté politique et d’ambition réelle, celle-ci s’est très tôt enfermée dans des dossiers des plus techniques, souvent des plus sectoriels et précis, et dont le traitement parfois assez catastrophique a eu des conséquences désastreuses sur l’appréhension par l’opinion de l’ensemble des dossiers européens.

En l’absence d’orientations fortes, de commissaires et de représentants un brin charismatiques et dotés d’une véritable vision des choses, c’est à travers un effet d’entropie désormais propre à la Commission européenne depuis une vingtaine d’années, que nous avons vu la très organisée Commission de la concurrence prendre le dessus sur tout un tas questions stratégiques durant la présidence de M. Barroso.

Si cette politique acharnée de la concurrence a parfois sa logique, elle traduit aussi un incroyable dogmatisme, et il est à l’évidence aujourd’hui dangereux de lui confier l’ensemble de clés de l’avenir européen !

Cela ne peut en effet continuer ainsi.

Si nous voulons que la Commission européenne porte des politiques audacieuses, nous devons lui donner des structures à la hauteur de la tâche et capables de mieux prioriser ce qui fera le futur de nos concitoyens.

C’est particulièrement vrai en matière industrielle.

C’est vrai, le portefeuille existe déjà au sein de la Commission, il est même détenu par un de ses Vice-Présidents, mais son poids relatif par rapport à d’autres membres du Collège est sans commune mesure avec l’importance de sa thématique !

Alors qu’attendons-nous pour renfoncer ses services et ses attributions, pour les mettre davantage en lien avec des compétences déjà existantes qui rejoignent les siennes : je veux parler ici de l’énergie, du climat, de la recherche et de l’innovation ?

Qu’attends-nous pour avoir une Commission stratège comme nous voudrions avoir un Etat stratège au niveau national ?

Des personnalités comme Michel Barnier ou Pierre Moscovici ne disent pas autre chose. Dès lors que le constat est aussi largement partagé, il serait difficilement compréhensible que la France ne pousse pas en faveur de semblables solutions.

Mais revenons-en au détail de l’ordre du jour officiel de ce Conseil européen.

Je laisserai de côté les questions purement économiques, que d’autres évoqueront sans doute.

Parlons un instant des affaires intérieures: justice, liberté, sécurité…

Il s’agit d’un chapitre essentiel, ne serait-ce qu’en raison de la volonté affichée du gouvernement italien, lequel prendra très prochainement la Présidence du Conseil de l’Union européenne, d’avancer dans ce domaine.

Mais il est à craindre que la question ne soit, une fois de plus, abordée que sous l’angle de la lutte contre le terrorisme, de l’immigration irrégulière, de la situation en Méditerranée, qui ne sont qu’une partie du problème.

L’espace de liberté, de justice et de sécurité en Europe renvoie aussi à la question pour le moins centrale de la citoyenneté européenne.

Comme vous le savez, est citoyen européen toute personne disposant de la citoyenneté d’un des 28 pays membres de l’Union.

Même si les critères d’acquisition de la nationalité varient encore étrangement d’un État à un autre, ce principe ouvre à chacun de nombreux droits. Or depuis quelques années, ces droits sont tout simplement… à vendre.

Poussés par la crise et un sens parfois absurde des priorités, plusieurs Etats ont cherché à mettre en place – ou effectivement lancé – des programmes visant à attirer de riches investisseurs, souvent sans trop regarder l’origine de leurs richesses, en leur octroyant un permis de séjour, voire la nationalité du pays – et donc une citoyenneté qui, de fait, s’applique à l’Union toute entière – en échange de quelques faveurs financières.

Vous vous souvenez sans doute de Malte, qui voulait vendre sa nationalité contre 650.000 euros. L’île a depuis ajouté une condition supplémentaire, à savoir le fait d’avoir résidé au préalable, durant un an, sur son territoire.

Mais ce cas n’est pas unique… puisque le Portugal, l’Espagne, la Grèce ont également des programmes de ce genre.

Ils ne proposent certes pas la nationalité, mais n’en vendent pas moins chèrement un droit de séjour sur le sol de l’Union sans que nous n’y trouvions à redire.

L’Irlande, la Lettonie sont également dans cette situation et, il y a peu, les Pays-Bas étudiaient la chose, chacun pour des sommes diverses et plus ou moins élevées – de 72.000 euros à plus d’un million !

Et si l’on comprend bien l’intérêt que peuvent y trouver de riches chinois ou russes – comme par hasard deux des nationalités les plus représentées parmi les postulants – on voit mal, en revanche, ce que l’Union pourrait tirer d’un tel marché de dupes…

Si nous sommes sérieux à propos de la citoyenneté européenne, nous devons urgemment mettre fin à ces dérives, dont les conséquences sont bien plus qu’anecdotiques. À ce propos, pourriez-vous nous dire, Monsieur le Ministre, si le Président de la République envisage d’aborder ce problème avec ses collègues ?

Venons-en à présent à un autre point important de l’ordre du jour de ce Conseil.

Celui-ci doit traiter des questions climatiques et énergétiques sur lesquelles nous peinons à avancer ces derniers mois.

C’est un dossier évidemment sensible. Parce qu’il y a urgence. Parce que les politiques de chacun des Etats membres divergent en la matière. Parce que les ressources naturelles ou les inquiétudes de certains les poussent à privilégier, par exemple, des sources d’énergie comme les gaz de schiste que les autres réprouvent en raison de leur dangerosité vis-à-vis de l’environnement et du climat.

Je le redis, c’est un dossier sensible et donc sur lequel il est difficile de se mettre d’accord. Mais peut-on pour autant accepter que l’Union, tout en feignant de laisser aux Etats le choix de développer – ou non – ces énergies, se mette déjà à les financer via le programme Horizon 2020 ?

Auteur d’un rapport sur ce programme pour notre assemblée, j’avais notamment pointé les difficultés quant au fléchage de ces fonds :

  • trop précis, il risquait d’être vite obsolète et d’attiser les désaccords entre Etats ;
  • trop flou, il risquait de donner lieu à certaines dérives.

Nous y sommes désormais, puisque selon plusieurs articles de presse récents l’Union finance discrètement l’exploitation de gaz de schiste (jusqu’à 133 millions d’euros !) sur un programme destiné en principe à promouvoir l’innovation et la protection de l’environnement !

Entre nous, il ne s’agit plus là de politique, mais véritablement d’alchimie ! Une alchimie douteuse qui transforme certains crédits verts en carbone !

Quand la porte reste fermée, certains trouvent toujours manifestement une fenêtre ouverte…

Monsieur le Ministre, pouvez-nous indiquer quelle sera la position de la France sur ce sujet, et plus largement sur les ambitions climatiques européennes ?

Le risque est considérable de voir un découplage s’opérer entre problématiques climatiques et problématiques énergétiques, au détriment tant des unes que des autres.

Le risque est grand aussi de voir les Etats privilégier les objectifs climat avancés par la Commission, beaucoup moins ambitieux que ceux proposés par le Parlement européen.

Quelle solution la France, qui accueillera l’an prochain le COP 21, envisage-t-elle de porter sur ces questions ?

Je vous remercie.