Philarmonie de Paris : échanges avec la Ministre Fleur Pellerin

philarmonie

La Philarmonie de Paris au cœur d’une partie des débats du 29 novembre au Sénat : retrouvez ci-dessous les échanges avec la Ministre Fleur Pellerin.

M. André Gattolin, rapporteur spécial de la commission des finances.
(…)L’ouverture prochaine de la Philharmonie est très attendue. Des questions demeurent toutefois en suspens, s’agissant notamment de la prise en compte des surcoûts du chantier et du calibrage des dépenses de fonctionnement du nouvel établissement. Si le chantier coûtera au final bien plus cher que ce qui avait été initialement prévu, le ministère est loin d’en porter seul la responsabilité et force est de constater que d’importants efforts ont été réalisés pour enrayer la dérive des coûts.
Fin connaisseur du sujet, notre prédécesseur Yann Gaillard redoutait, l’an passé, que le montant total des travaux soit proche de 400 millions d’euros. Les estimations récentes laissent heureusement penser que celui-ci ne devrait pas excéder 381 millions d’euros.
Je signale par ailleurs que, à la demande du Premier ministre, une mission a été lancée afin de calibrer de la façon la plus adaptée les dépenses de fonctionnement du futur établissement.
À ce stade, la dotation inscrite à ce titre dans le projet de loi de finances pour 2015 est de 9,8 millions d’euros.
Des synergies et mutualisations sont attendues entre la Philharmonie de Paris et la Cité de la musique. Il sera donc intéressant d’évaluer très attentivement la première année de fonctionnement de la Philharmonie de Paris.
Madame la ministre, même si nous n’avons pas déposé d’amendement à ce propos, Vincent Eblé et moi-même jugerions particulièrement opportune la création d’un indicateur de performance dédié au fonctionnement de la Philharmonie, indicateur qui pourrait notamment prendre en compte la fréquentation de l’établissement et le développement de ses ressources propres. (…)

Mme Fleur Pellerin, ministre.
(…) Le budget pour 2015 permettra ainsi l’ouverture de la Philharmonie de Paris – évoquée par M. Gattolin et d’autres orateurs –, un nouvel équipement de référence non seulement pour la diffusion musicale, mais aussi pour la sensibilisation de nouveaux publics, des jeunes, grâce à son programme éducatif ambitieux.
Au-delà des difficultés de la fin du chantier – c’est souvent le cas pour des équipements aussi ambitieux –, ce que marque le présent budget est bien l’ouverture de l’établissement : les crédits de fonctionnement de l’État sont prévus, la Philharmonie de Paris étant appelée à travailler en synergie avec la Cité de la Musique et les structures musicales qu’elle aura vocation à accueillir.
Monsieur Gattolin, je suis évidemment d’accord pour introduire des indicateurs de performance relatifs à la fréquentation, aux ressources propres, mais aussi, pourquoi pas, aux programmes d’éducation artistique et culturelle, à la vocation pédagogique de la Philharmonie de Paris. Je pense que cela serait de bonne gestion. Je vous propose de travailler ensemble à cette question.
Je veux être très claire devant les inquiétudes qui ont été exprimées à propos de ce chantier : Paris ne doit pas résumer l’ambition de l’État en matière de culture et l’ambition de la politique culturelle de l’État ne se limitera pas à Paris, qu’il s’agisse de la métropole, du Grand Paris ou de la capitale. Telle n’est pas ma vision de la politique culturelle, qui se doit d’être présente sur l’ensemble des territoires et de réaliser la promesse républicaine de ce ministère, c’est-à-dire apporter la culture – ou faire en sorte qu’elle soit accessible – au plus grand nombre de nos concitoyens, quel que soit l’endroit où ils se trouvent, quel que soit leur milieu d’origine, quelle que soit leur capacité économique. Ne soyons pas en deçà d’un certain niveau d’ambition.
Il manquait sans doute à la France une grande salle, à la hauteur de celles dont disposent nos voisins européens. Je peux d’ailleurs dire qu’un certain nombre de chefs d’orchestre étrangers que j’ai rencontrés nous envient déjà ce très beau lieu. Nous devons maintenant faire de l’ouverture de celui-ci un enjeu majeur en termes d’attractivité et de rayonnement culturel de notre pays. Veillons à ce que cette ouverture soit réussie ! (…)

M. Yves Pozzo di Borgo.
Je souhaite interroger le Gouvernement sur la Philharmonie de Paris. En tant que sénateur de Paris, je soutiens ce projet, malgré toutes les difficultés.
Dans son rapport de 2012 sur le sujet, mon ancien collègue Yann Gaillard soulignait qu’il y avait manifestement eu une stratégie politico-administrative pour minimiser les estimations initiales.
Parmi quatre-vingt-dix-huit participants, c’est M. Jean Nouvel, l’architecte le plus titré et médaillé au monde, qui a été retenu. Lui-même a déclaré publiquement avoir été obligé d’approuver les termes du contrat tout en sachant qu’ils étaient faux !
Pour construire la salle, il n’y a que Bouygues et ses-traitants. C’est d’ailleurs un grand classique : à Paris, pour tous les projets nationaux ou municipaux, on ne fait appel qu’à une ou deux sociétés. C’est la démocratie française…
Cette stratégie politico-administrative est appliquée par une association avec un directeur tout puissant, qui décide seul de toutes les transactions, dans les limites de l’enveloppe qui lui est dévolue. Dans son rapport, Yann Gaillard a noté que la « forme associative de la structure de portage du projet » avait « favorisé une défaillance de suivi des tutelles ».
Voilà qui explique peut-être en grande partie les dérives des coûts, aujourd’hui estimées à 118 millions d’euros. À l’origine, le programme était chiffré à 204,14 millions d’euros ; à l’heure actuelle, nous sommes à 381,5 millions d’euros. Et je ne parle pas de l’emprunt de la ville de Paris à 5,2 %. Quand on connaît les taux habituellement pratiqués, on se rend compte à quel point cette ville est bien gérée…
On a l’impression que, derrière le pouvoir personnel du directeur, l’architecte n’a pas beaucoup eu son mot à dire. Il est possible que, lors de l’inauguration, le 14 janvier, d’aucuns s’interrogent sur les qualités acoustiques de la salle et sur l’œuvre que l’architecte a voulu réaliser. J’ai déjà alerté les hautes autorités à cet égard.
Par ailleurs, la ville de Paris a refusé de prendre en charge le surcoût de 45 millions d’euros. Certes, sur un budget de 8 milliards d’euros, 45 millions d’euros, ce n’est pas énorme. Mais quand on dépense beaucoup, comme le fait la municipalité, et qu’on se retrouve avec un déficit de 400 millions d’euros, on ne peut évidemment plus assumer grand-chose…
Je souhaite interroger le Gouvernement : pourquoi un tel surcoût ? J’ai demandé des explications, et je crois que Mme la présidente de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication a fait de même. Nous n’avons obtenu aucune réponse. D’ailleurs, et les spécialistes le confirmeront peut-être, il m’a semblé que ce surcoût n’apparaissait même pas clairement dans les documents budgétaires.
Je rappelle que les contrats ont été signés en 2011, sur la base de prix de 2009. Ainsi que le savent tous mes collègues élus, la révision des prix est automatique sur la base de l’indice BT 01 de 1 %. Mais là, avec le surcoût, on est à 15 % !
Certes, en comparaison de nos milliards d’euros de dette ou du budget de la ville de Paris, 45 millions d’euros, cela ne fait pas beaucoup. Mais je connais beaucoup d’élus de province qui aimeraient bien disposer d’une telle somme pour financer leur politique culturelle.
Il est donc permis de se poser des questions. Pouvez-vous justifier ce surcoût, madame la ministre ? Y a-t-il eu une volonté de maquillage dès le départ ? Après tout, c’est fort possible, puisque les contrats de 2011 ont été signés sur la base des prix de 2009. Les ordres notifiés par le maître d’ouvrage ne servent-ils pudiquement qu’à faciliter le travail des entreprises ?
Je souhaite avoir des éclaircissements en la matière, d’autant que, encore une fois, je soutiens le projet.

M. Vincent Delahaye. (…)
Par ailleurs, et à l’instar de mon collègue Yves Pozzo di Borgo, je souhaite évoquer la Philharmonie de Paris, sujet sur lequel je suis intervenu à plusieurs reprises.
Comme jeune sénateur, j’avais interpellé M. Frédéric Mitterrand sur le dérapage financier. Nous sommes passés des 200 millions d’euros initialement prévus à 381 millions d’euros. Depuis le début, et ce n’est pas de votre faute, madame la ministre, l’opération n’a absolument pas été pilotée.

M. David Assouline, rapporteur pour avis.
Au début, c’était qui ? Nicolas Sarkozy !

M. Vincent Delahaye.
D’ailleurs, c’est malheureusement souvent une caractéristique des projets de l’État.
De tels dérapages sont tout de même assez préjudiciables aux contribuables. Je ne suis pas convaincu que le fait de consacrer autant d’argent à un seul équipement parisien aille vraiment dans le sens de la réorientation des aides vers la province que vous invoquez, madame la ministre.
Je souhaite soulever plusieurs questions.
D’abord, les 45 millions d’euros de dépassement, que la ville de Paris ne veut pas prendre en charge, sont-ils inscrits dans ce budget ?

M. David Assouline, rapporteur pour avis.
Oui !

M. Vincent Delahaye.
Je ne les ai pas vus, que ce soit dans le rapport ou dans les tableaux de chiffres. Je ne me contente pas d’affirmations ; je veux voir les chiffres.
Ensuite, existe-t-il une convention – je suis surpris qu’il n’y en ait pas eu à l’origine – entre l’État et la ville de Paris pour fixer la répartition du financement à la fois sur l’investissement et sur le fonctionnement à 50/50 ? Si ce n’est pas le cas, c’est très grave ! Cela signifie que l’État est pris au piège des décisions de la ville de Paris. Si celle-ci décide demain de ne plus rien financer du tout, le fonctionnement de cet équipement parisien sera à la charge de l’État, c’est-à-dire des contribuables, y compris de ceux qui habitent en province ! On n’engage pas des deniers publics sans convention initiale. Et si cette convention existe, la ville de Paris est-elle prête à acquitter les 9,8 millions d’euros de fonctionnement pour l’année 2015 ?
Enfin, à quoi ont servi les 5,7 millions d’euros de crédits de fonctionnement inscrits pour 2014 ? La Philharmonie de Paris n’est pas ouverte. Je sais bien qu’il fallait anticiper la programmation. Mais fallait-il mobiliser une telle somme dès 2014 pour cela ? (Applaudissements sur les travées de l’UDI-UC et de l’UMP.)

Mme la présidente.
La parole est à Mme la ministre.

Mme Fleur Pellerin, ministre. 
Ces interventions ne portent pas sur l’article 50 bis. Toutefois, je vais répondre aux questions qui m’ont été adressées.
Tout d’abord, comme vous l’avez rappelé avec honnêteté, messieurs les sénateurs, la décision de construire la Philharmonie de Paris a été prise en 2007. En 2012, lors de notre arrivée aux responsabilités, le chantier avait déjà beaucoup avancé. Je pense qu’il n’aurait pas été de bonne gestion de mettre un terme à une opération ayant déjà coûté plusieurs centaines de millions d’euros.
Au demeurant, même si je travaille beaucoup au rééquilibrage de l’offre culturelle entre Paris et la province, je pense qu’il s’agit d’un beau projet pour l’attractivité de notre pays. Nous avions besoin d’une grande salle philharmonique. L’établissement fait aujourd’hui des envieux, à Londres comme à Berlin, où les équipements ont vieilli.
J’ai pris mes fonctions de ministre à quelques mois de l’ouverture de la Philharmonie de Paris. Je souhaite que nous la réussissions.
Pour autant, je ne nie pas qu’il y ait eu un certain nombre de problèmes de pilotage. D’ailleurs, ils ne datent pas du mois de mai 2012 ; ils sont bien antérieurs. Depuis ma nomination dans ces fonctions, je m’efforce d’y remédier, pour ce qui concerne le financement comme la gouvernance.
Cette année, il y a effectivement eu un dépassement de 45 millions d’euros. Mais il est partiellement imputable à l’interruption du chantier pendant une année à la demande de Nicolas Sarkozy qui a coûté extrêmement cher.
Nous avons également une vingtaine de millions d’euros qui sont liés à des actualisations de prix. Comme cela a été rappelé, les contrats ont été passés pour certains en 2009 et pour d’autres en 2011. Cela coûte également.
Et nous avons 25 millions d’euros de surcoût qui sont dus à des aléas. Outre les coûts liés à l’interruption du chantier, que j’ai déjà évoqués, il faut tenir compte d’un certain nombre d’options techniques, comme les exigences de sécurité, le bois choisi pour parer les murs de la grande salle, le vernis… Il s’agit peut-être de détails, mais c’est grâce à cela que l’esthétique et l’acoustique de la salle seront exceptionnelles. De tels problèmes de finition sont malheureusement assez classiques pour ce type d’opération.
Au vu de la situation, une mission a été confiée à M. Jean-Pierre Weiss pour examiner les raisons ayant conduit aux dépassements et aux retards ; elle est en cours depuis un an. Il s’agit d’identifier clairement les responsabilités respectives des différents acteurs, car il n’est pas forcément évident d’en connaître la répartition aujourd’hui.
Lors de ma prise de fonctions, j’ai demandé à l’OPIC, l’opérateur du patrimoine et des projets immobiliers de la culture, une contre-expertise pour savoir si l’objectif d’une ouverture le 14 janvier prochain était bien réaliste – il m’a été répondu que cela l’était – et pour faire procéder à une évaluation précise des coûts et des travaux à réaliser en urgence.
Une mission est en cours afin d’étudier si la Philharmonie peut fonctionner avec les crédits prévus du côté tant de l’État que de la ville de Paris, sachant que les négociations sur la convention qui lie ces deux parties pour organiser le fonctionnement de l’établissement s’achèvent actuellement.
J’ai passé beaucoup de temps à la Cour des comptes, et j’ai vraiment eu à cœur, je peux vous l’assurer, de rendre la situation à la fois plus transparente, plus claire et plus efficace. S’il est important de bien comprendre les responsabilités des uns et des autres, il faut surtout faire en sorte que l’inauguration et l’ouverture de la Philharmonie de Paris soient un succès mondial.
Je ne reviendrai pas sur la question du pilotage des opérateurs de mon ministère. Je vous l’affirme, mesdames, messieurs les sénateurs, j’ai la volonté très claire de piloter l’ensemble d’entre eux, même si la tâche n’est pas facile. Concrètement, cela signifie que les directeurs d’établissement public devront tenir compte de ma vision et de mes priorités en matière d’éducation artistique et culturelle. Ils devront, entre autres, mieux prendre en compte les pratiques quotidiennes des jeunes d’aujourd’hui, ou encore s’engager dans une démarche de rayonnement international. Je pourrais ainsi multiplier les exemples.
En tout état de cause, je souhaite non pas que mon ministère s’ingère dans la gestion quotidienne des opérateurs, mais qu’il définisse des grands axes de politiques et que tous les opérateurs se mettent au service de ces priorités.
Enfin, je précise que les 45 millions d’euros étaient prévus pour 2014 ; c’est la raison pour laquelle ils ne figurent pas dans le projet de loi de finances pour 2015. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

Mme la présidente.
La parole est à Mme Marie-Annick Duchêne, sur l’article.

Mme Marie-Annick Duchêne. 
Permettez-moi de profiter de ce débat sur la Philharmonie de Paris, madame la ministre, pour vous demander s’il est exact que la salle Pleyel perdra sa spécificité classique. Si c’est une fausse rumeur, autant lui tordre le cou tout de suite !

Mme la présidente. 
La parole est à Mme la ministre.

Mme Fleur Pellerin, ministre. 
Paris va devenir une place extrêmement importante pour le rayonnement de la musique classique, ce dont il faut, je pense, se féliciter.
Dans la mesure où Paris disposera désormais d’une salle philarmonique de tout premier plan, dont l’acoustique aura été traitée par le même bureau d’études que celui qui a travaillé sur l’auditorium de la Maison de Radio France, avec une jauge de plus de 2 500 places, cet établissement en sera le pôle de la musique classique.
De ce fait, il a été décidé que la salle Pleyel devrait réorienter sa programmation vers d’autres musiques, afin de parvenir à une spécialisation des genres des différents lieux dédiés à la musique à Paris. Toutefois, je ne suis pas extrêmement rigide : nous verrons bien, à l’usage, la manière dont se déplacent les publics. Nous pourrons éventuellement en discuter de nouveau.

(Extraits du compte-rendu de la séance du 29/11/2014)

> Réagir sur Facebook