Rapport d’information d’André Gattolin sur son déplacement au Groenland – compte-rendu de l’examen en commission

C’est mercredi 3 décembre qu’André Gattolin a présenté son rapport sur le Groenland en commission des Affaires européennes du Sénat. Vous trouverez ci-dessous le compte-rendu de ses échanges avec ses collègues sénateurs, membres de cette commission.

Politique de coopération – Rapport d’information de M. André Gattolin sur son déplacement au Groenland

M. Jean Bizet, président. – André Gattolin nous a présenté, en juillet dernier, un rapport d’information sur les stratégies européennes pour l’Arctique, dans lequel il soulignait les effets du réchauffement climatique sur la fonte de la banquise mais aussi les spéculations sur les richesses supposées de son sous-sol, qui suscitent bien des convoitises.

Il nous y indiquait que l’Arctique se réchauffait au moins deux fois plus vite que le reste de la planète, ce qui entraîne un changement profond et peut-être irrémédiable de la vie dans la région – pour ses habitants et pour l’environnement, qui reste fragile. À la lumière de ces enjeux, il était légitime de s’interroger sur ce que peuvent faire l’Union européenne et la France en particulier. André Gattolin a souhaité recueillir de nouveaux éléments en se rendant au Groenland en septembre dernier, dont il vient ici nous rendre compte. Il poursuivra ensuite ses travaux sur la stratégie européenne, afin que notre commission puisse arrêter une position.

M. André Gattolin. – Le rapport que j’ai le plaisir de vous présenter aujourd’hui s’inscrit dans la continuité des travaux que je mène depuis plus d’un an sur l’Arctique et les enjeux européens qui s’y attachent. Ils s’inscrivent également dans une réflexion plus large menée par notre commission, qui s’interroge sur l’intensification de la politique nordique de l’Union européenne – sujet d’importance, mais dont on parle moins que de sa politique orientale ou méditerranéenne -, ainsi que sur la multiplication des volontés nationales de dévolution au sein de l’Union européenne, comme l’a illustré le travail de notre collègue Garriaud-Maylam sur l’Écosse. Le fait est que le Groenland entretient une relation particulière avec l’Union européenne en même temps que s’affirme sa volonté d’indépendance à l’égard du Danemark.

Ces travaux ont fait l’objet d’un premier rapport d’information, dont notre président vient de vous livrer la synthèse. Je rappelle que la France doit élaborer, pour le mois de mars prochain, sa feuille de route pour l’Arctique, qui sera aussi l’un des enjeux du COP-21 qui se tiendra à Paris en décembre de l’année prochaine.

Le Groenland occupe, dans l’Arctique, une place singulière, qui mérite que l’on s’y arrête. Il est à la fois la plus grande île de l’hémisphère nord – et la deuxième de la planète en superficie, après l’Australie – et le pays dont la population est la plus faible – il ne comptait que 56 282 habitants au 1er janvier dernier, pour une superficie qui représente quatre fois celle de la France. J’ajoute que la quasi-totalité des enjeux de la région s’y concentrent. Ancienne colonie danoise ayant gagné progressivement son autonomie, il se trouve désormais sur la difficile route vers l’indépendance. Il est donc à la recherche de nouvelles sources de revenus pour assurer son avenir et fait l’objet de très nombreuses attentions, sans être toujours en mesure de maîtriser ces évolutions et les transformations, parfois brutales pour la population, qui s’y attachent.

De surcroît, le Groenland entretient des relations riches, mais complexes, avec l’Union européenne. Il est d’abord entré au sein des Communautés européennes avec le Danemark en 1973, alors que les Groenlandais eux-mêmes s’y étaient déclarés hostiles, à 73 %, lors du référendum. Après avoir obtenu en 1979 une première inflexion vers plus d’autonomie de son statut au sein du Royaume du Danemark, le Home Rule, le Groenland a choisi de quitter les Communautés européennes. La décision a été prise par référendum le 23 février 1982 avec une majorité, plus courte qu’en 1973, de 53 % et est entrée concrètement en application le 1er février 1985. Depuis cette date, le Groenland, tout en restant institutionnellement lié au Danemark, ne fait plus partie de l’Union européenne. Jusqu’au changement de statut de l’île de Saint-Barthélemy, il a ainsi été le seul territoire à se détacher du processus de construction européenne après y avoir adhéré, il est vrai malgré lui.

Le Groenland demeure cependant largement associé à l’Union européenne. Bénéficiant du statut des pays et territoires d’outre-mer (PTOM), il lui est également lié par un accord de coopération, signé en 2007 et renouvelé il y a quelques semaines, ainsi que par un accord de partenariat dans le secteur de la pêche. Il dispose enfin, depuis 1992, d’une représentation permanente à Bruxelles, où je m’étais rendu pour la préparation de mon précédent rapport.

Autant d’éléments qui ont motivé l’organisation de cette mission, qui m’a amené, mi-septembre, sur place et à Copenhague, où j’ai rencontré la Première du Groenland.

Hasard du calendrier, des élections législatives anticipées ont été convoquées à l’issue d’une crise gouvernementale qui s’est déroulée quelques jours seulement après mon voyage. La Première, Mme Aleqa Hammond, a été contrainte à démissionner suite à des suspicions de mauvaise gestion des deniers publics. Il faut savoir que dans les pays nordiques, tout débordement, fût-il minime, est sévèrement sanctionné. L’événement est venu réveiller des critiques récurrentes de népotisme adressées à la classe politique par une partie de l’opinion groenlandaise.

Les élections anticipées du 28 novembre dernier ont été remportées d’extrême justesse par Siumut, parti de l’ancienne Première, longtemps donné battu, mais qui l’a emporté de quelque 326 voix. Ce parti, traditionnellement présenté dans la presse comme social-démocrate, mais en réalité extrêmement libéral, a occupé sans discontinuer la tête du pays depuis 1979, à l’exception des années 2009 à 2013. L’autre grand parti de gouvernement, Inuit Ataqatigiit, arrivé deuxième, se situe plus à gauche sur l’échiquier politique. La presse le range même à l’extrême gauche, mais il faut se méfier, encore une fois, de ces étiquettes médiatiques, car ce parti réunit plutôt des sociaux-libéraux. Les scores qu’atteignent ces deux partis, autour de 33 %, ne leur donnent pas de majorité pour gouverner, dans une assemblée territoriale qui ne compte pas plus de 31 députés. Siumut bénéficie d’une légère avance, mais il ne lui sera pas simple de configurer une coalition, d’autant que ces élections ont vu émerger deux nouvelles forces politiques sur lesquelles il faudra compter, et dont les orientations paraissent très différentes : le nouveau parti Naleraq, fondé en janvier dernier par un ancien chef du gouvernement et ancien membre du parti Siumut, Hans Enoksen, d’inclinaison nationaliste, arrivé quatrième, avec 11 % des voix, et le parti Demokratiit, fondé en 2003 et arrivé en troisième position, parti, à l’inverse, sceptique quant au projet indépendantiste – en tout cas quant à son rythme. Ce dernier parti se montre beaucoup plus pragmatique s’agissant de la relation au Danemark mais aussi à l’Europe et plusieurs de ses responsables ont même évoqué la possibilité de réintégrer, à terme, l’Union européenne après l’indépendance.

M. Richard Yung. – Il n’y a pas de parti vert ?

M. André Gattolin. – Tous les partis militent pour la préservation de l’environnement… et l’exploitation des richesses minières.

M. Michel Raison. – Les partis verts ne sont pas seuls à militer pour la préservation de l’environnement.

M. André Gattolin. – Certains commentateurs voient dans ces résultats l’expression d’une fracture générationnelle entre des Groenlandais plus que jamais attachés à l’idée souverainiste, et d’autres, souvent des jeunes, qui, sans être contre l’indépendance, sont plus prudents devant ses possibles conséquences, et lui préfèrent d’autres priorités.

De fait, la campagne a pu surprendre en ce qu’elle a accordé beaucoup moins d’importance qu’attendu à deux thématiques, qui avaient largement structuré le débat public ces dernières années : le projet indépendantiste lui-même, mais aussi la gestion des ressources naturelles et le développement des industries extractives, en particulier s’agissant de l’uranium et des terres rares.

Dans les années 1970 et jusqu’aux années 2000, le discours autonomiste groenlandais s’est en partie construit autour du rejet de l’exploitation de ces ressources – par les Danois ou d’autres pays de l’Union européenne. L’extraction de l’uranium a même été interdite à partir de 1988, sur décision des autorités groenlandaises. La situation a changé lorsque les progrès vers l’indépendance sont devenus plus concrets. Les revendications politiques et culturelles ont cheminé jusqu’à devenir des revendications étatistes. Or qui dit construction d’un État dit moyens financiers pour en abonder le budget et en assurer le fonctionnement. Or, le Groenland manque encore aujourd’hui cruellement de revenus qui lui soient propres. D’où la volonté de développer les industries extractives, le sous-sol de l’île étant particulièrement riche. Une première étape a été franchie avec l’adoption du Self Rule en 2009, qui a encore élargi l’autonomie du pays en transférant, notamment, la compétence sur les ressources minérales aux autorités locales. Le Groenland pouvait ainsi prendre le train de la mondialisation en marche, voire se retrouver subitement au coeur de complexes jeux géostratégiques.

La décision d’autoriser à nouveau l’extraction de l’uranium a été prise à l’automne 2013 par le gouvernement sortant, à une voix de majorité, au milieu de débats agités. Mais cette politique se trouve déjà contestée, du fait de la chute des cours des matières premières – un certain nombre de sociétés se sont d’ailleurs retirées depuis que le cours du baril est passé sous la barre des 80 dollars. Selon une étude publiée au début de cette année, l’industrie minière, même menée avec intensité, ne permettrait pas au Groenland d’équilibrer seul son budget. Les coûts d’exploration et d’exploitation sous ces hautes latitudes sont en effet considérables. Et le caractère erratique du cours des matières premières en fait un pari risqué.

Pourtant, l’économie groenlandaise, aujourd’hui très déséquilibrée, a besoin de se diversifier. Le Groenland souffre de problèmes sociaux et sociétaux considérables ; le taux de suicide, par exemple, y est plus de cinq fois supérieur au taux de suicide mesuré en France. Il n’est pas une famille, nous disent nos interlocuteurs, qui n’ait vécu la tentative de suicide d’un enfant.

Le pays souffre également de multiples déficits, notamment en termes éducatifs. L’accès à l’éducation et la qualité de la formation sont un problème récurrent au Groenland, aggravé par le fait que les étudiants partis à l’étranger pour poursuivre leur parcours académique choisissent pour beaucoup d’y rester.

Autant de facteurs qui aboutissent, en dépit d’un taux de natalité proche de deux enfants par femme, à un recul démographique. Le Groenland ne devrait plus compter, à l’horizon 2020-2030, que quelque 54 000 habitants. Avec une population aussi faible, il devient difficile d’assurer à un pays, aussi plein de richesses potentielles soit-il, son indépendance.

Autre problème de taille : le manque d’infrastructures. L’ancien aéroport militaire américain de Kangerlussuaq, seul aéroport international d’importance, ne peut être rejoint, faute de routes et d’infrastructures portuaires, que par hélicoptère ou par avion. Ce défaut d’infrastructures est un vrai problème pour le développement.

En outre, l’économie dépend très largement du Danemark, principal fournisseur du pays, et qui, absorbant 80 % de ses exportations, dont la pêche constitue 90%, assure également la quasi-totalité de ses débouchés extérieurs. Surtout, le Danemark – avec qui les relations sont pourtant loin d’être toujours apaisées – fournit directement au Groenland pas moins de 55 % de ses recettes publiques, sous forme de subventions à hauteur de plus de 450 millions d’euros par an – 480 millions en 2013. L’Union européenne, qui a très vite souhaité maintenir des relations étroites avec ce territoire, est également un partenaire financier d’importance. L’accord de pêche pour 2013-2015 assure au Groenland une contribution annuelle de 16,3 millions d’euros au minimum, tandis que l’accord de coopération 2014-2020 lui assure un soutien à l’éducation et à la formation de plus de 30 millions d’euros par an – imaginez une collectivité territoriale française de peuplement équivalent qui disposerait d’un tel soutien européen ! Notons toutefois que malgré cette aide constante, le rôle de l’Union européenne n’est pas toujours perçu positivement. Il faut dire que le bannissement, dans les années 1980, des produits issus du phoque a eu des conséquences terribles sur l’économie traditionnelle inuit dans l’ensemble du cercle polaire. Et lorsque l’on est Français, on s’entend plus d’une fois reprocher les positions de Brigitte Bardot. Des figures comme celle de Jean Malaurie et de Paul-Émile Victor viennent redorer notre blason.

La volonté d’ancrer le nouvel accord de coopération dans une politique plus globale et cohérente de l’Union européenne vis-à-vis de son nord mérite donc d’être saluée. D’autant que la volonté d’indépendance à l’égard du Danemark, à défaut d’être programmable dans le court terme, est bien réelle dans la population. Il s’agit de prendre en compte les spécificités de cette région, de ses habitants, de son économie, et des jeux d’influence qui s’y mettent en place ; de respecter les acteurs de l’Arctique et leurs aspirations – je rappelle que 89 % de la population est inuit et très attachée à l’expression d’une culture identitaire autochtone ; de proposer à nos partenaires, en bonne intelligence avec eux, le soutien de l’Union européenne là où celui-ci peut être le plus utile et le plus efficace.

L’une des pistes que l’Europe se doit d’explorer afin d’approfondir et de renouveler ses relations avec ce territoire stratégique touche aux problématiques de développement soutenable. Si les Groenlandais rêvent d’une grande industrie minière, ils ont conscience que l’échéance, faute d’infrastructures, est lointaine, et ils s’intéressent du même coup, alors qu’ils ont l’un des plus beaux glaciers du monde, à la manière dont la France a su développer un tourisme non invasif. De même qu’ils s’intéressent de près, alors que le pays est considérablement dépendant des importations agricoles, à l’agriculture sous serre, qu’ils souhaiteraient développer en coopération avec nos centres de recherche.

Le Groenland, comme le reste de l’Arctique, se transforme à grande vitesse – et ces bouleversements apportent à ses habitants tout à la fois de nouvelles opportunités et de nouveaux risques. Il appartient à l’Europe de se montrer à leur écoute pour les accompagner du mieux qu’elle le pourra, à la place qui est la sienne, dans l’intérêt des Groenlandais et en gardant à l’esprit les grands enjeux qui animent cette région et, au-delà, la planète toute entière.

Ce territoire, qui appartient au continent nord-américain, n’entretient pourtant, malgré la présence de populations inuit au Canada, que très peu de relations avec l’Amérique du Nord, même si les Américains y sont implantés, avec leur grande base de Thulé. Il est orienté vers l’Europe – le Danemark, bien sûr, mais aussi l’Islande, les îles Féroé, la Grande-Bretagne et la Norvège. Il serait bon, d’un point de vue géostratégique, que l’Union européenne prenne en compte le Groenland dans la nouvelle donne géopolitique qui, au-delà des enjeux climatiques et environnementaux, se met en place autour de l’Arctique – tensions avec la Russie, volonté des Chinois de développer leur présence dans la région.

M. Jean Bizet, président. – Il est vrai que ce pays revêt une dimension géostratégique, en même temps qu’il est un témoin de la problématique climatique en cours. Il faut être attentif à ses évolutions – d’autant que les terres rares que contient son sous-sol suscitent l’intérêt de bien des pays, au premier rang desquels la Chine, dont on sait qu’elle exploite 80 % à 90 % de ces terres, et recherche de nouveaux gisements d’exploitation, en Afrique et ailleurs.

M. André Reichardt. – Le Canada a mis en place un plan pour le développement du grand Nord. Il s’agit d’exploiter les richesses du sous-sol tout en accompagnant, dans leur développement, les populations autochtones – qui, soit dit en passant, ne voient pas les choses de cet oeil. Le Groenland manifeste-t-il une volonté similaire de développer l’exploitation minière qui justifierait un intérêt accru de l’Union européenne ?

M. Gérard César. – Les ressources pétrolières et gazières de l’Arctique représentent 10 % des ressources mondiales et 30 % des réserves de gaz. C’est énorme. Nous avons eu l’occasion, sous la présidence de Jean-Paul Emorine, de nous rendre à Mourmansk pour aborder ces questions. Le groupe Total était intéressé à créer un joint venture avec Gazprom. Où en est-on de ce projet, rendu complexe par le problème des températures, qui peuvent atteindre moins 40 ?

M. André Gattolin. – Lorsque je me suis rendu au Canada, j’ai rencontré le nouveau ministre du développement durable, de l’environnement et de la lutte contre les changements climatiques du Québec, qui me disait qu’à l’époque du gouvernement libéral de Jean Charest, on avait tenté de lancer un plan similaire à celui qui existait au plan fédéral. Mais il n’est pas simple de travailler en Arctique. Areva, qui a depuis vingt ans un contrat avec une grande société d’exploitation de l’uranium, en fait l’expérience. Il est très difficile, en effet, de tracer des routes et de les stabiliser. On voit dans le changement climatique une opportunité d’exploitation de ces zones, mais c’est oublier que la fonte du permafrost provoque dans les infrastructures, y compris les canalisations, des mouvements et des effondrements. L’industrie sibérienne arctique russe rencontre le même problème. À quoi s’ajoute le fait qu’en fondant, le permafrost dégage beaucoup de méthane, gaz qui contribue vingt-trois fois plus que le CO2 à l’effet de serre. Pour autant, le gouvernement de Pauline Marois, du parti québécois, avait défini un plan redimensionné, intitulé « Le Nord pour tous ». Le nouveau gouvernement libéral de M. Couillard, qui entendait relancer ce plan Nord, se heurte cependant à de gros problèmes budgétaires : il faudrait des milliers de kilomètres de routes pour désenclaver le pays.

Le même problème se pose au Groenland, où toute infrastructure fait défaut. Les économistes estiment qu’il faudrait, en dehors de la zone de Barents et de la Norvège, où les conditions climatiques sont meilleures grâce au Gulf Stream, un baril à 120 ou 130 dollars au moins pour que l’exploitation du pétrole en Arctique soit rentable. Il faut savoir que l’industrie minière se partage en deux types d’entreprises : les seniors, soit de grandes entreprises disposant d’importantes capacités d’exploitation, et les juniors, des sociétés plus jeunes et plus spéculatives, généralement valorisées à la bourse de Toronto, où des conditions assez favorables leur sont offertes, et qui font de l’exploration. Mais le problème réside dans le passage de l’exploration à l’exploitation. Tout cela explique les énormes mouvements sur les cours du gaz et du pétrole, d’une tout autre nature que ceux qui peuvent être liés à la problématique du gaz non conventionnel.

L’engouement sans doute un peu exagéré que l’on constate au Groenland sur le potentiel existant tient au fait qu’il fallait trouver les voies d’une indépendance rapide. Pour se former, cependant, dans les disciplines scientifiques, sachant que l’université de Nuuk n’offre que des cursus en sciences humaines, les élites doivent partir étudier à Copenhague, dont elles ne reviennent pas toujours…

Le parallèle avec le Canada est intéressant. Il faut savoir que plus de la moitié de la balance commerciale du Canada relève du secteur primaire – le bois et les matières premières non transformées -, un peu à l’image de la Russie, qui assure son équilibre économique par la vente massive de matières premières. Il est un seul domaine où le Canada investit au Groenland : les mines d’extraction du rubis. C’est que leur exploitation n’exige que cinquante à soixante employés, que l’on peut aisément former parmi les Groenlandais, quand un projet d’exploitation du zinc ou du nickel, comme l’avaient formé les Chinois, exige 5 000 employés, qu’il faut faire venir d’ailleurs. Le rubis bénéficie, de surcroît, d’un cours très stable et ne nécessite pas d’infrastructures : un hélicoptère suffit.

À côté de tels projets, dont le pays a besoin, le secteur traditionnel de la pêche pourrait être un atout. N’est-ce pas en misant sur ce secteur que l’Islande s’est redressée ? Mais pour l’instant, peu de bateaux groenlandais pêchent dans ces eaux ; ce sont, pour l’essentiel, des bateaux des pays de l’Union européenne, qui payent une redevance. À noter que le contrat de partenariat noué entre l’Union européenne et le Groenland ne pouvant passer par les fonds de développement régionaux, les lignes d’aide au Groenland sont paradoxalement inscrites au budget de l’Union européenne. Il serait bon de rechercher, à l’avenir, un système d’accords sur mesure qui ne privent pas les Groenlandais du sentiment de leur indépendance.

L’accord avec le groupe Total ? Christophe de Margerie avait déclaré à plusieurs reprises qu’il se refusait à forer dans les zones off shore glacées. Si bien que les premiers gisements ont été exploités par Gazprom, mais que Total a racheté, in fine, une partie de sa production dans ces zones. Un article paru dans « Le Figaro économie » de ce matin, qui fait apparaître la corrélation entre l’effondrement du prix du brut et celui de l’économie russe, montre combien les économies fondées sur ce type d’exploitation sont dépendantes.

M. Jean Bizet, président. – Il est vrai que les effets de l’effondrement des prix du brut sur l’économie russe sont bien supérieurs à ceux des mesures de rétorsion décidées par l’Union européenne. Quand on voit que lors de sa dernière réunion, l’Opep a décidé de ne pas fermer les robinets, on se dit que le message est peut-être venu d’ailleurs…

À l’issue de ce débat, la commission a autorisé, à l’unanimité, la publication du rapport de M. André Gattolin, paru sous le numéro 152 (2014-2015).

Compte-rendu officiel du Sénat, disponible également sur le site du Sénat lui-même en suivant ce lien.