Conseil européen des 28 et 29 juin : « Quand on ne fédéralise pas les ressources et les compétences, nos politiques sont vouées à l’échec »

André Gattolin, sénateur des Hauts-de-Seine, est intervenu en séance publique pour le groupe LaREM dans le débat préalable au Conseil européen des 28 et 29 juin. Il a notamment constaté qu’en 1999, lors d’un précédent sommet à quinze, les mêmes discussions autour de la question migratoire étaient à l’ordre du jour.

« Dans ce domaine et bien d’autres, le problème fondamental est toujours le même : quand on ne fédéralise pas les ressources et les compétences, nos politiques sont vouées à l’échec« , a-t-il déclaré.

Retrouvez ci-dessous le texte de son intervention :

« Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, jamais, en ce mois de juin, l’Europe n’aura été autant ébranlée dans son fondement même, celui d’une coopération toujours plus étroite entre nations partenaires.

On aurait pu croire que le Brexit provoquerait un sursaut de cohésion chez les 27 États membres restants. Las, pour l’heure, il n’en est rien, et une spirale entropique paraît menacer l’Union, au point de risquer demain de la disloquer.

Et les instruments, législatifs comme budgétaires, semblent faire défaut pour calmer la résurgence des nationalismes.

La puissance économique du marché intérieur est aujourd’hui concurrencée, et même endommagée, par la remise en question du multilatéralisme.

De vieilles antiennes protectionnistes venues d’outre-Atlantique alimentent désormais quotidiennement l’actualité et l’Union ressemble trop souvent à une personne frappée d’aboulie, attendant que les événements choisissent pour elle plutôt que d’agir par elle-même.

Le Président de la République l’a, à juste titre, souligné lors de la récente conférence de Meseberg : les chefs d’État ou de gouvernement vont se réunir à un moment de vérité pour l’Europe.

Et cette vérité, en tant que responsables politiques, nous la devons à nos concitoyens, qui méritent une explication honnête et rationnelle des difficultés que nous traversons.

Ce qui est perçu comme urgent aujourd’hui ne date pourtant pas d’hier.

L’année prochaine marquera le 20e anniversaire de l’introduction de l’euro sur les marchés financiers mondiaux.

De notre monnaie commune, nous parlions déjà beaucoup à l’époque, en 1999. Mais ce qui occupa le plus l’actualité, tout au long de l’année 1999, ce fut cette grande frayeur millénariste d’un possible bug informatique susceptible de mettre à mal des pans entiers de notre organisation lors du passage à l’an 2000.

Beaucoup de peur pour pas grand-chose, car rien de sérieux n’advint en la matière.

Et pourtant, avec le recul, on peut dire que 1999 marqua peut-être le début d’un bug, un bug européen, dont nous ne percevons que maintenant les pleins effets.

Je m’explique : à la mi-octobre 1999 se tint, à Tampere, en Finlande, un important Conseil européen – à quinze à l’époque – dont l’objet principal portait – je vous le donne en mille – sur les questions d’asile et d’immigration !

Permettez-moi, mes chers collègues, de vous en citer les conclusions : « il faut, pour les domaines distincts, mais étroitement liés, de l’asile et des migrations, élaborer une politique européenne commune ».

Et quels étaient les axes prioritaires qui devaient orienter cette action commune ?

Le premier axe était le partenariat avec les pays d’origine pour « lutter contre la pauvreté, améliorer les conditions de vie et les possibilités d’emploi, prévenir les conflits, consolider les États démocratiques ».

Le deuxième axe était le régime d’asile européen commun fondé sur « l’application intégrale et globale de la Convention de Genève et sur le principe de non-refoulement ».

Le troisième axe était le traitement équitable pour les ressortissants de pays tiers à travers une politique plus énergique en matière d’intégration qui favorise la non-discrimination dans la vie économique, sociale et culturelle.

Enfin, le quatrième axe était une gestion plus efficace des flux migratoires. Le Conseil se déclarait « déterminé à combattre à sa source l’immigration clandestine, notamment en s’attaquant à ceux qui se livrent à la traite des êtres humains et à l’exploitation économique des migrants ».

Vous noterez que les priorités de l’époque sont presque exactement les mêmes que celles qui sont énoncées dans l’ordre du jour du Conseil européen des 28 et 29 juin prochains.

À la différence que, aujourd’hui, nous sommes obligés de prendre des décisions sous la pression et dans l’urgence, assiégés par une crise migratoire souvent exacerbée par des forces politiques qui surexploitent le sentiment d’être « envahis » de toutes parts, alors que la réalité des chiffres est assez différente.

Si l’afflux de demandeurs d’asile et de migrants économiques a été important, surtout à partir de 2015, il aurait assurément été plus aisé de le gérer avec des mécanismes, des ressources et des politiques communes.

Nous ne pouvons le nier, mes chers collègues, dans ce domaine et bien d’autres, le problème fondamental est toujours le même : quand on ne fédéralise pas les ressources et les compétences, nos politiques sont vouées à l’échec.

Nous ne pouvons plus continuer dans cette schizophrénie qui consiste à inscrire dans les traités fondamentaux de l’Union européenne que celle-ci « développe une politique commune de l’immigration », sans doter l’Union des compétences nécessaires pour le faire !

C’est là ce que j’appelle une Europe « à plusieurs freins », à mon avis bien plus dangereuse pour notre avenir commun que la fameuse Europe à plusieurs vitesses, qui, par ailleurs, existe déjà.

La vérité, c’est que les géométries variables qui semblent prévaloir ces jours-ci sur le sujet migratoire ou sur le budget de la zone euro ne devraient pas nous étonner.

Pendant trop longtemps, nous avons laissé s’installer au cœur même de l’Europe des groupes ou des coalitions d’États qui, en bloquant le processus décisionnel européen, arrivent à faire prévaloir leurs intérêts particuliers, ou tout simplement le statu quo.

Nous le constatons évidemment avec le groupe de Visegrád, mais aussi plus récemment avec une coalition de neuf États membres qui s’opposent aux propositions faites par la Commission en matière d’imposition de l’économie numérique.

Dans ce contexte, le moteur franco-allemand reste, à notre avis, essentiel.

L’accord auquel nos deux gouvernements sont parvenus la semaine dernière à Meseberg est un premier pas important vers une possible sortie de crise.

Au moment où nous discutons du prochain cadre financier pluriannuel, nous ne pouvons cacher qu’il faudra très significativement augmenter le budget de l’Union si nous voulons financer des politiques efficaces en matière de contrôle des frontières extérieures, de défense européenne, d’investissement dans les nouvelles technologies.

Et nous devons nous interroger, en toute lucidité, sur la compatibilité d’une telle approche avec des budgets considérablement lestés par le poids des ressources allouées à certains des fonds structurels ou par la charge d’une politique agricole commune qui peine toujours à se réformer.

Chacun veut l’argent de l’Europe, mais bien peu en acceptent les règles et les contraintes.

Dans un contexte global où les pays émergents voient leur économie progresser à un rythme de plus de 5 % par an, alors que la croissance de celle de l’Union est inférieure à 2 % pour une population toujours plus vieillissante, nous ne parviendrons à préserver notre modèle social, notre capacité d’intégration et, au bout du compte, notre aptitude à peser dans le concert très chahuté des nations, qu’en investissant très massivement dans les grandes industries du futur.

Dans le flot des nouvelles inquiétantes entourant l’Europe ces dernières semaines, une orientation très importante concernant le futur cadre financier pluriannuel pour la période 2021–2027 est malheureusement passée relativement inaperçue.

La Commission vient de faire une proposition ambitieuse d’investissement de 9,2 milliards d’euros, principalement dans les domaines de l’intelligence artificielle, de la cybersécurité ou encore de la création d’une filière souveraine de supercalculateurs.

Sur ce dernier point, le temps me manque pour vous expliquer le caractère éminemment stratégique que revêt le calcul à haute performance pour l’Europe. Notre commission des affaires européennes vient de faire une proposition de résolution européenne sur ce sujet.

Aussi, il est particulièrement réjouissant d’apprendre que le Conseil, pas plus tard qu’hier, parfois englué au moment de la prise de décision, vient précisément d’approuver le plan très ambitieux proposé par la Commission pour replacer l’Europe dans le peloton de tête mondial de l’industrie des supercalculateurs et combler ainsi, à terme, son retard actuel sur les États-Unis et la Chine.

L’Europe sait parfois nous surprendre agréablement. Espérons qu’il en sera de même à l’issue du Conseil européen de cette fin de semaine. »