« Fake News » : Des armes non conventionnelles de la guerre de l’information

André Gattolin intervenait, ce 27 juillet 2018 pour le groupe La République En Marche, dans la discussion générale de la proposition de loi relative à la lutte contre les fausses nouvelles. Retrouvez ci-dessous le texte de son intervention (seul le prononcé fait foi) :

« Les fausses nouvelles ne datent pas d’hier ; la France s’est, depuis longtemps, dotée d’instruments pour lutter contre ce phénomène ; il n’y a donc pas de raison de légiférer à nouveau en la matière. Trois assertions, répétées à l’envi, en guise raisonnement pour justifier de sursoir à l’examen de cette PPL.

Les deux premières sont exactes, mais on peut légitimement douter de la justesse de la troisième au regard des profonds bouleversements qui traversent notre société en ce début de XXIème siècle.

Oui, les fausses nouvelles ne datent pas d’hier ! En nous limitant à la période qui voit l’émergence des premiers médias de masse dans nos sociétés, on peut affirmer que c’est au XVIIe siècle en Angleterre que les fausses nouvelles ont commencé à faire leur apparition.

Pour l’anecdote, ce fut Jonathan Swift, ce grand écrivain anglais des Lumières, qui fut l’auteur du premier canular de l’ère médiatique en publiant en 1708 un vrai faux almanach astrologique pour dénoncer les fausses informations qui circulaient impunément dans ce type de supports diffusés à à plusieurs centaines de milliers d’exemplaires.

Mais c’est surtout au XIXème siècle, avec l’apparition des quotidiens à très grand tirage, que les fausses nouvelles connurent un développement exponentiel, d’abord en Angleterre et en Amérique, puis en France, au point parfois de déstabiliser le bon fonctionnement de ces jeunes démocraties.

Face à ce phénomène inquiétant, nos pays ont, certes tardivement, su réagir, et ce de deux façons :
– en se dotant de législations permettant d’assurer la liberté d’expression et aussi de lutter juridiquement contre les fausses informations ;
– et en aidant le métier de journaliste à se professionnaliser, à se doter d’une déontologie forte, d’écoles spécialisées et en lui donnant un statut juridique exigeant et protecteur.

En France, il y eut bien sur la fameuse loi de 1881 sur la presse. Elle n’empêcha cependant pas les fausses nouvelles de continuer à proliférer au début du XXe siècle et notamment durant la Première Guerre mondiale. La création du SNJ en 1918, avec sa première charte de déontologie journalistique, s’opéra d’ailleurs en réaction à l’explosion des fausses informations durant la Der des Ders. La loi Brachard de 1935 vint ensuite entériner le statut professionnel des journalistes avec ses droits et aussi ses responsabilités.

Même si ce cadre législatif et statutaire a connu au fil du temps quelques ajouts, reconnaissons que, bien qu’il n’ait jamais permis d’éradiquer totalement les fausses nouvelles, il a toutefois permis de contenir le phénomène pendant plusieurs décennies, en dépit des évolutions du paysage médiatique.

Alors, pourquoi vouloir aujourd’hui à nouveau légiférer, au risque – nous dit-on – d’atteindre à la sacrosainte liberté de la presse ?

D’abord parce qu’avec la mondialisation accélérée de nos sociétés et la révolution en cours dans le domaine des technologies de l’information, notre régime d’information est désormais entré dans une toute autre dimension. La liberté et la qualité globale de l’information que nous étions en mesure de garantir par le droit et par l’autorégulation dans le cadre démocratique de notre territoire national sont aujourd’hui mis à mal par de nouveaux acteurs refusant de respecter ces règles.

Nous l’avons constaté à maintes reprises ces dernières années : la numérisation à marche forcée de nos médias les rendent très vulnérables aux attaques informatiques susceptibles de les réduire au silence durant plusieurs jours, voire d’y insérer à leur insu propagande ou contenus inappropriés. C’est là, ni plus ni moins, l’instauration d’un mode de censure violente qui se défie de nos règles en matière de libertés publiques… Nos systèmes d’information sont aujourd’hui si ouverts, qu’ils permettent à certains acteurs sans foi ni loi d’y faire régner l’arbitraire ou la seule règle de leurs intérêts personnels.

Profitant de l’absence de véritable régulation à l’échelle internationale, certains géants de l’internet se sont institués en pseudo puissances souveraines sur leurs centaines de millions d’utilisateurs répartis sur toute la planète !

A côté de ces géants numériques sans frontières, on voit également proliférer certains Etats ou Groupes voyous qui n’hésitent pas à faire usage d’armes non-conventionnelles d’influence pour déstabiliser des institutions ou des nations démocratiques, notamment lors de scrutins à très fort enjeu. Depuis environ 2 ans et à chaque élection majeure au sein d’un de ses états-membres, l’Union européenne est systématiquement noyée sous une propagande « new-look » cherchant à exciter les groupes d’opinion les plus hostiles à son existence.
Il y a une semaine, les dirigeants grecs dénonçaient l’ingérence de la Russie en Grèce et en Macédoine contre l’accord de reconnaissance mutuelle enfin trouvé entre ces deux pays.

Alors, face à ce phénomène, il faut bien sûr renforcer l’éducation aux médias chez nos concitoyens. Il faut également soutenir la profession journalistique dans sa volonté d’améliorer ses règles et ses méthodes de travail à l’ère du numérique et de l’information en temps réel.

Tout ceci est indispensable, mais non suffisant. Car ce n’est pas notre cadre normatif en soi qui est obsolescent, c’est sa dimension strictement nationale dans son application qui le rend obsolescent !

Sur ce point, il est intéressant de noter l’évolution de la Commission européenne qui, dans ses travaux initiaux, était défavorable à l’adoption de législations en la matière et qui, devant l’absence d’engagements sérieux de la part des géants d’internet, menace désormais de recourir à la loi.

Alors, mes chers collègues, après avoir participé aux riches travaux de notre Commission et bien entendu les critiques assez pertinentes faites à l’endroit de certains aspects de cette PPL, je ne comprends pas – mais vraiment pas ! – le sens des questions préalables déposées qui, si elles étaient adoptées, renverraient en l’état à l’Assemblée nationale un texte que le Sénat aurait pu largement amender, voire réécrire à sa guise, pour refléter les choix de sa majorité, ou plutôt devrais-je dire de ses majorités…

Pour toutes ces raisons, le Groupe La République en Marche votera contre les questions préalables qui nous sont soumises.

Je vous remercie. »