M. André Gattolin. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme l’an passé, je centrerai mon propos sur le compte spécial « Avances à l’audiovisuel public ».
Si j’ai fait ce choix, ce n’est pas au motif que je me désintéresserais du sort de nos industries culturelles ou, plus largement, de l’avenir de la presse dans notre pays – bien au contraire. C’est parce que les crédits alloués à notre audiovisuel public sont sans doute, aujourd’hui, ceux qui font le plus débat au sein de notre assemblée, entre les différentes familles politiques et même – j’en ai bien peur – à l’intérieur de certains groupes.
Disons-le sans périphrase ni faux-nez : la réforme profonde de l’audiovisuel public, voulue par le Président de la République il y a plus d’un an, a vu son annonce plusieurs fois repoussée, ce qui a pu troubler certains.
M. Roger Karoutchi, rapporteur spécial. Eh oui !
M. André Gattolin. Selon eux, le texte, désormais programmé pour le courant de l’année prochaine, cacherait les intentions réelles du Gouvernement.
En réalité, celles et ceux qui, notamment au sein de notre commission de la culture, suivent depuis de nombreuses années les questions liées à l’audiovisuel public, et en particulier à son financement, savent combien ce sujet est, non seulement délicat, mais véritablement difficile, du fait de sa complexité et des enjeux à la fois concurrentiels et technologiques qui l’entourent.
Moi-même qui ai eu la chance, il y a un peu plus de trois ans, de rédiger, avec notre collègue Jean-Pierre Leleux, un volumineux rapport d’information consacré à ce sujet, pour le compte des commissions de la culture et des finances,…
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente de la commission de la culture. Et à ma demande !
M. André Gattolin. … je dois bien l’avouer, sans me dédire des grandes recommandations que nous avons élaborées à l’époque : mes convictions initiales ont connu quelques inflexions, parfois significatives, eu égard aux évolutions récentes observées dans ce secteur, comme aux réalités économiques, sociales et humaines qui entourent les grands opérateurs de l’État dans ce domaine.
Mes chers collègues, je ne donnerai qu’une illustration de l’évolution de ces convictions. Même si Jean-Pierre Leleux et moi-même avions formulé nos propositions avec quelques précautions, pour ce qui concerne l’architecture globale de la gouvernance de l’audiovisuel public, je suis, aujourd’hui, moins enclin à suggérer un glissement rapide vers une entreprise ou une holding commune regroupant tous les opérateurs publics du secteur.
En effet, les premières synergies engagées entre plusieurs des sociétés publiques de l’audiovisuel, dès le mois de décembre 2017, ont, concrètement, encore bien du mal à voir le jour. Je pense notamment au rapprochement voulu entre les antennes régionales de France 3 et celles de Radio bleue. Ainsi, la matinale commune annoncée pour la rentrée 2018 ne verra le jour, au mieux, que l’année prochaine.
De même, le projet de plateforme numérique commune, qui constitue un chantier d’envergure, exige des choix technologiques et éditoriaux difficiles à établir, et pour cause : les différents opérateurs se sont déjà tous engagés, et parfois depuis longtemps, dans des voies assez, voire très divergentes.
Aujourd’hui, faute des orientations précises et des arbitrages qui devront cadrer la future réforme, il est bien difficile d’avancer sérieusement sur des sujets si sensibles que la réforme de la redevance audiovisuelle.
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente de la commission de la culture. La contribution !
M. André Gattolin. À ce titre, je rejoins M. Karoutchi : ce serait une erreur de mener ce travail en l’état, avant d’avoir précisé les missions que nous comptons assigner au service public de l’audiovisuel et avant d’avoir fixé nos objectifs opérationnels.
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente de la commission de la culture. C’est une réforme systémique !
M. André Gattolin. C’est donc bien un budget de transition que nous examinons aujourd’hui, avec toutes les limites inhérentes à l’exercice.
Toutefois, il serait faux de dire que le Gouvernement n’a pas fixé de trajectoire. Cette dernière a été largement débattue et négociée avec les opérateurs. Au printemps dernier, l’on a ainsi arrêté un montant de 190 millions d’euros d’économies globales à rechercher à l’horizon de 2022, en déclinant l’effort et aussi les investissements attendus des différentes sociétés nationales du secteur.
Bien sûr, l’objectif peut paraître un peu rude, mais il est beaucoup plus raisonnable que ce que certains laissent entendre.
Il faut bien le dire, et le rapport que Jean-Pierre Leleux et moi-même avons consacré à la question en fait état : ces dernières années, les pouvoirs publics ont très largement abondé les budgets des chaînes, en particulier celles de France Télévisions. Or les résultats, tant quantitatifs que qualitatifs, se sont parfois révélés plus que décevants ; sans faire état des taux d’audience, je pense, notamment, à la revente des émissions produites à l’étranger.
De plus, en procédant ainsi, la France est allée à contre-courant de la presque totalité des pays européens. J’ai eu la curiosité d’examiner l’évolution des budgets dédiés, par les différents États d’Europe, au service public de l’audiovisuel : à l’exception de l’Allemagne, où la télévision est financée par les Länder, tous les pays, grands ou petits, de la Belgique à la Grande-Bretagne, de l’Espagne à l’Italie, ont procédé à des réductions de budgets et d’effectifs.
Cet effort a permis de nouveaux développements ; souvent, il s’est soldé par un certain succès – les émissions produites en témoignent. On peut avancer que ces structures se sont bien recentrées sur leurs missions de service public.
M. Roger Karoutchi, rapporteur spécial. Voilà !
M. André Gattolin. Cette évolution s’observe quelle que soit la taille du service public audiovisuel dans le pays considéré, et quel que soit le niveau de la redevance perçue.
On pourrait croire que, si certains pays peuvent mener à bien de nombreux projets en la matière, c’est grâce à des montants élevés de redevance audiovisuelle. Eh bien, tel n’est pas le cas. Dans des pays comme la Belgique ou l’Italie, la redevance n’est pas très élevée, et pourtant des réformes ont eu lieu. Ainsi, la réforme de la Radio Télévision belge francophone, la RTBF, se révèle plutôt intéressante.
Celles et ceux qui ont assisté au grand colloque organisé en juillet dernier par notre commission de la culture, en présence de plusieurs responsables de l’audiovisuel public d’autres pays d’Europe, ont presque tous été frappés par ce constat : un véritable contraste se fait jour entre, d’une part, nos sociétés nationales et leurs dirigeants, et, de l’autre, leurs vis-à-vis européens.
Mes chers collègues, pour en revenir à la mission qui nous intéresse au titre du projet de loi de finances pour 2019, nous pouvons dire que les économies, plus ou moins prononcées, attendues de chaque opérateur de l’audiovisuel public sont cohérentes avec la trajectoire annoncée au printemps dernier pour l’horizon 2022. Il n’y a pas de surprise à cet égard, et l’examen des amendements me permettra de dire pourquoi je ne suis pas favorable aux réaffectations internes à ces différents budgets.
Bien entendu, les sénateurs du groupe La République En Marche voteront ces crédits. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche.)