En temps de crise, c’est en repoussant les limites que l’Europe se fixe elle-même que l’on peut espérer en poursuivre la construction

André Gattolin s’est exprimé au nom du Groupe écologiste au cours du Débat préalable au Conseil européen, mercredi 11 décembre 2013, en séance publique.

 

Monsieur le Président, Monsieur le Ministre, Mes chers collègues,

Le dernier Conseil européen de l’année 2013, comme ceux qui l’ont précédé, se présente avec un ordre du jour chargé, avec des sujets lourds, et parfois urgents, même s’ils ne renvoient évidemment pas aux mêmes enjeux. 

Prenons la Politique de sécurité et de défense commune.

Les crises qui se succèdent dans le monde démontrent, les unes après les autres, à quel point cette politique est encore aujourd’hui embryonnaire.

Alors que sa nécessité est désormais une évidence, comme est nécessaire l’établissement d’une politique étrangère commune digne de ce nom qui tarde tout autant à se réaliser.

Certes, on n’a pas vu l’Europe se déchirer ces derniers mois sur les dossiers malien, syrien ou centrafricain comme elle avait pu le faire sur d’autres, il y a encore pas si longtemps.

Reste que l’Union a tout de même eu beaucoup de mal à se faire entendre et que, dans chacun de ces cas, la France a paru bien seule, au point de sembler même isolée, alors qu’elle ne peut évidemment pas tout faire elle-même, ni d’un point de vue stratégique ni d’un point de vue politique.

Le projet de conclusions du Conseil insiste notamment sur la nécessité de renforcer les capacités communes et surtout l’industrie de défense européenne.

Mais il ne faudrait pas oublier que développer des capacités ne sert à rien sans vision stratégique claire, ou sans réelle répartition des rôles – des éléments qui manquent singulièrement dans ce même projet de conclusions.

Il ne faudrait pas que l’Europe de la Défense reste prisonnière d’objectifs trop économiques, comme si le complexe militaro-industriel devait décider de ce qu’il convient de renforcer ou pas, comme si les leçons du général et président américain Dwight Eisenhower avaient été perdues pour les Européens. Je fais ici référence au fameux discours d’adieu d’Einsenhower, le 17 janvier 1961n qui nous met en garde et nous demande d’être attentif au danger de voir l’ordre public devenir captif d’une élite scientifique et technologique.

Que je sache, l’industrie européenne de l’armement n’est pas aujourd’hui la plus à plaindre, ce n’est pas elle qui a besoin d’être développée en priorité. Ce n’est pas à elle non plus de se substituer comme c’est trop souvent le cas aujourd’hui aux politiques dans la définition de ce que devrait être une politique de défense, tant à l’échelle nationale qu’à l’échelle européenne.

Ce Conseil européen sera un des derniers où nous verrons agir – et parfois sévir – certains hauts responsables européens avant le prochain renouvellement d’une partie importante des institutions européennes. Exit donc, dans quelques mois, José-Manuel Barroso, dont il n’y aura guère de personnes en Europe pour oser dire qu’il aura été – en dépit de deux mandats successifs – un grand Président de la Commission.

Exit très probablement aussi Mme Catherine Ashton, Haut-Représentante de l’Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité. Après un un début assez catastrophique, et une grande partie de son mandat poussive et souvent illisible, il faut cependant lui accorder que dans ces tous derniers mois, elle aura fini par nous étonner un peu, voire même nous réjouir, pour le rôle actif qu’elle a joué dans les négociations sur la question du nucléaire iranien et plus récemment encore par ses positions sur la situation en Ukraine.

Beaucoup de critiques peuvent être aussi adressées à la Banque centrale européenne et à ses dirigeants successifs, et en particulier à Mario Draghi, dont le mandat court encore pour les trois années à venir.

Mais ce dernier a su prendre à plusieurs reprises des décisions primordiales pour l’avenir de l’Euro.

A-t-il outrepassé son mandat ?

Probablement. Mais en temps de crise, c’est justement en repoussant les limites que l’Europe se fixe elle-même que l’on peut espérer en poursuivre la construction.

Ce que je veux dire, à travers mon propos, c’est que l’Europe a besoin d’une classe politique véritablement européenne.

Mais elle a aussi besoin de politiques qui aient de la classe, qui sachent incarner l’Europe, qui sachent habiter leurs fonctions et les prendre à bras le corps.

J’en viens à mon second point, à savoir la politique économique et sociale.

Vous l’avez rappelé déjà, Monsieur le Ministre, la politique économique et sociale de l’Union européenne a effectué, cette semaine, des progrès qu’on attendait depuis longtemps, sur un dossier devenu explosif.

Je veux parler du problème des travailleurs détachés, avec des pratiques de dumping social d’un Etat européen vers un autre.

Nous ne pouvons que saluer les efforts de clarification faits en la matière, d’autant – on le sait – que ces derniers n’ont été rendus possibles qu’après de difficiles négociations.

Mais il ne faudrait pas que l’on s’arrête en si bon chemin. Prenons la question de la chaîne de responsabilités, sur le point d’être appliquée intégralement dans le secteur du bâtiment, et qui implique que désormais, une entreprise donneuse d’ordre devra répondre des éventuels abus de ses sous-traitants.

Pourquoi cette mesure n’est-elle pas, par exemple, également envisagée pour le secteur agro-alimentaire, alors que nous savons que les travailleurs détachés y sont désormais nombreux ?

Il serait bon que le gouvernement français, pour parfaire cette avancée, appuie le Parlement européen dans la suite de ces discussions : car on sait depuis juin dernier que la position du Parlement est précisément de pousser plus loin cette logique.

Pour l’Europe, l’urgence est plus que jamais de restaurer des mécanismes de régulation que des années de dogmatisme ont mis à mal.

L’Union européenne a ouvert ses marchés au nom du dynamisme économique. Elle continue à négocier des traités de libre-échange.

Elle semble cependant le faire de manière mécanique, sans véritable réflexion. Nous avons des Directions générales à la concurrence et au commerce international ? Alors on décide par quasi automatisme d’accroître la concurrence et l’ouverture internationale. Il y a là quelque chose qui nous tourne pas rond. La créature engendrée n’attend plus d’être nourrie ; elle se nourrit d’elle-même sur la bête !

C’est la raison pour laquelle nous devons repenser tous ensemble de nouveaux modes de régulation, de nouvelles règles communes, sans attendre un hypothétique retour de la croissance car nous n’avons pas le luxe de pouvoir attendre.

Les choses commencent à bouger, il est vrai, par exemple avec l’instauration prochaine d’un salaire minimum en Allemagne. Chose encore impensable il y a quelques mois et pourtant indispensable à tout point de vue !

Mais il y a encore beaucoup de choses à corriger, beaucoup de sacrifices absurdes et qui ne devraient pas être faits.

Monsieur le Président, Monsieur le Ministre, mes chers collègues,

Je terminerai en évoquant la situation du Portugal, et plus précisément de la recherche publique au Portugal. Nous nous accordons tous pour considérer la recherche comme un élément essentiel d’une société basée sur la démocratisation des connaissances, mais aussi sur l’innovation.

Il est vrai que c’est une activité qui souffre beaucoup de la crise car son utilité immédiate est parfois moins évidente que son utilité dans le long terme. Mais en termes économiques comme en termes sociaux, c’est une activité indispensable.

L’Europe l’a d’ailleurs reconnue comme telle, avec l’adoption de la stratégie 2020 ou avec la création – projet quasiment personnel du Président Barroso – d’un Institut européen de technologie.

Et pourtant, au Portugal, pays de José-Manuel Barroso où exercent de nombreux chercheurs formés en France, le gouvernement est en train de liquider purement et simplement la FST, « Fondation de la science et de la technologie», l’équivalent de notre CNRS, pourtant financé sur des fonds européens. 80 à 90% des chercheurs « publics » portugais sont licenciés. Il va sans dire que c’est une catastrophe et un précédent des plus inquiétants.

Même la recherche privée, qui pourrait bénéficier d’importants transferts, devrait en pâtir indirectement puisqu’on détruit là des synergies qu’il sera bien difficile de recréer par la suite.

En tant qu’Européen, fédéraliste, membre de la commission des Affaires européennes et de la commission Culture, éducation, communication de notre assemblée, je suis profondément choqué de cette nouvelle.

Au-delà de ce cas particulier, nous avons-là un état d’esprit avec lequel il faut impérativement en finir, si nous voulons relancer le projet européen.

Espérons que les signes positifs enregistrés par ailleurs ne resteront pas des signes isolés.

Je vous remercie.