Convention Andorre doubles impositions : les écologistes s’abstiendront

À la tribune du Sénat, André Gattolin a affirmé l’opinion dubitative du groupe écologiste sur la convention Andorre double impositions, soumise au vote de la Haute assemblée ce 18 décembre. Ci-dessous le texte de son intervention dans la discussion générale (seul le prononcé fait foi).« Monsieur le Président,
Monsieur le ministre,
Mes chers collègues,

Hier soir, la décision prise par Barack Obama d’engager une normalisation des relations avec Cuba nous replonge dans la fameuse crise des fusées cubaine de 1962 ; événement d’ampleur international qui a masqué par son importance la tension qu’ont connu les relations franco-monégasques à la même époque pour des raisons politiques, et surtout fiscales.

Sans rentrer dans les détails de cette querelle franco-monégasque née au départ d’un rapport de force pour le contrôle d’une station de radio et d’une station de télévision, toutes deux implantées en Principauté : Radio Monte-Carlo (RMC) et Télé Monte-Carlo (TMC), je tiens à vous rappeler que les désaccords persistant sur la taxation des résidents français et des sociétés travaillant avec la France provoquèrent en 1962 l’ire du général de Gaulle qui décida – ni plus ni moins – le blocus de Monaco.
A cette occasion, on lui prête d’ailleurs souvent la boutade suivante : « Pour faire le blocus de Monaco, il suffit de deux panneaux de sens interdit. »

Les relations avec la principauté andorrane n’ont – heureusement – jamais atteint ce paroxysme, car la France a fait preuve de bonne volonté. Et la présente convention en constitue encore un témoignage.

Ce texte a pour but de simplifier nos relations fiscales avec la principauté d’Andorre, exercice délicat tant la principauté comporte de facettes complexes.

D’une point de vue géopolitique, Andorre est un micro Etat inséré dans le vaste ensemble constitué par l’Union Européenne, tout comme les principautés de Monaco ou du Liechtenstein. Mais à la différence de celles-ci la principauté est la seule frontière intérieure au sein de l’espace Schengen.

Assez étonnement, Andorre est membre de la zone euro sans être membre de l’Union européenne.

En termes économiques et culturels, ce micro Etat est plus dépendant de l’Espagne – je devrais d’ailleurs dire de la Catalogne espagnole – que de la France.

La langue officielle et la langue d’usage d’une très large majorité de la population andorrane est d’ailleurs le catalan.
Pour s’en convaincre – et s’amuser un peu en cette période de fêtes – je vous conseille la lecture de la version française du site andorran « Legalis fiscal » qui fait plus ou moins figure de site officiel des débats et décisions entourant la législation andorrane…

Je n’ai malheureusement pas le temps de vous citer ici quelques morceaux choisis, mais vous découvrirez tous les ravages commis sur la langue française par l’usage de certains services Internet gratuits de traduction automatique !
Et pourtant les liens institutionnels avec la France sont majeurs, puisque le président de la République française est co-prince de la principauté, poste qu’il partage avec l’évêque d’Urgell.

Fiscalement, la principauté a su également cultiver sa complexité en même temps que sa singularité.
Jusqu’à peu, elle ne levait pas d’impôt sur les revenus ou sur la fortune mais elle refusait d’être considérée comme un paradis fiscal.

La crise de 2008 a obligé la principauté à sortir de cette ambiguïté dont elle tirait profit. Et elle l’a poussé à prendre les mesures afin de ne plus être inscrite sur la liste grise des paradis fiscaux établie par l’OCDE.

La convention qui est soumise à notre approbation
aujourd’hui fait partie de cet ensemble de dispositions prises par la principauté afin de parvenir à sortir son nom de cette fameuse liste grise.

En 2009, la principauté s’est lancée dans une course à la signature d’accords d’échanges de renseignements
fiscaux.
Seize accords ont alors été signés avec divers pays
permettez que je vous en cite quelques uns le Liechtenstein,
Monaco ou encore la république de San Marin.

Certains de ces Etats, qui ont conclu une convention avec l’Andorre, sont eux-mêmes dénoncés par l’OCDE pour leurs pratiques fiscales « borderline ». Cela peut nous laisser perplexe sur la nature réelle de ces actes, qui s’apparentent davantage à la constitution d’une micro-internationale d’entraide mutuelle pour échapper à la vindicte légitime des autres nations qu’à une réelle démarche visant à adopter des normes fiscales internationales pourtant déjà très – trop – tolérantes…

Alors certes, l’accord qui nous est soumis aujourd’hui remplit tous les critères de contrôle et d’échanges d’informations demandés par l’OCDE. Certains ici pourront toujours dire : « c’est mieux que rien » mais cet accord est-il vraiment satisfaisant ? D’autres, toujours dans notre assemblée, ne le pensent pas puisqu’ils contestent le bien fondé de la novation fiscale contenue dans l’article 25-1 d prévoyant une imposition des personnes physiques à raison de leur nationalité, et non pas à raison de leur résidence ou de l’origine de leurs revenus. Je leur laisse le soin de développer leur argumentation à ce sujet mieux que je ne le pourrais le faire.

Quant à moi, j’émettrais deux critiques.
L’une est globale et porte sur l’absence de réelle politique européenne relative aux relations que les Etats de l’Union doivent avoir avec les micro-Etats présents à l’intérieur ou aux bordures de notre continent. En effet, une approche européenne serait, me semble t-il, plus appropriée pour traiter des questions de transparence, d’échange d’informations dans les domaines de la fiscalité et de la lutte contre la criminalité, y compris la fraude fiscale, l’évasion fiscale et le blanchiment d’argent.

Mon autre critique porte sur l’impact de ce type de convention sur l’économie andorrane.

Il est possible de concevoir que cet accord puisse très bien favoriser le développement du commerce dit «  des boîtes aux lettres fiscales ».
Les entreprises ou les particuliers en recherche perpétuelle de gains supplémentaires, grâce à l’optimisation fiscale, peuvent très bien concevoir que désormais la principauté d’Andorre est un pays sûr en matière de délocalisation de leur base fiscale.

Avoir une adresse postale et fiscale à Andorre peut désormais rapporter autant qu’une délocalisation d’un site industriel dans un pays à bas coût de main d’œuvre.

Cet effet induit a-t-il été pris en compte par les négociateurs de cette convention ? A priori non, étant donné que nul part il y est fait mention.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, vous l’aurez compris, les écologistes sont vraiment dubitatifs sur la portée réelle de ce texte, autant qu’ils sont dubitatifs quant aux montagnes d’années de négociations passées pour accoucher d’une telle souris.

C’est donc uniquement par bienveillance, en cette période de trêve des confiseurs, que notre groupe a choisi aujourd’hui de s’abstenir.

Je vous remercie. »