Forum des ONG à Moscou : La société civile au cœur de la COP21

Je suis depuis hier à Moscou, où j’interviens au Forum des ONG à l’invitation de l’ambassade de France, qui fait un excellent travail en soutien aux ONG Russes, qui connaissent une situation difficile. Ci-dessous le prononcé de l’intervention de votre sénateur dans l’atelier ONG et collectivités territoriales…

« Cher Jean-Maurice Ripert, Ambassadeur de France en Russie, Chère Patriziana Sparacino-Thiellay, Ambassadrice chargée des droits de l’Homme, Chers amis russes et chers compatriotes, Mesdames, Messieurs,

En guise d’introduction à cet atelier consacré à la place des ONG et des collectivités territoriales dans les grandes négociations climatiques, je voudrais en premier lieu corriger un effet d’optique qui, aux yeux d’une large partie de l’opinion, brouille encore un des enjeux majeurs de la très prochaine Conférence climatique qui débutera à Paris à la fin de ce mois.

Placée sous l’égide des Nations Unies et accueillie par la France qui prendra la présidence de la COP pour un an, cette grande conférence sur les moyens à mettre en œuvre pour lutter contre le changement climatique a, à première vue, toutes les apparences d’une négociation interétatique traditionnelle.
Aucune avancée décisive ne pourra en effet avoir lieu sans un agrément le plus large possible des 195 pays représentés, sans la confirmation des 155 contributions nationales prises à ce jour, sans l’acceptation de donner à ces dernières un caractère contraignant et sans l’engagement fort des Etats les plus riches d’abonder au fonds de 100 milliards de dollars annuels qui permettra d’aider concrètement les pays en développement et les pays les plus fragiles face au dérèglement climatique déjà à l’oeuvre.

Cette dimension interétatique des négociations qui vont s’ouvrir est indéniable et au moins 80 chefs d’Etats et de gouvernements devraient être présents dans la capitale française ce 30 novembre à l’ouverture officielle de la COP 21.

Gageons que la photo de groupe de tous ces grands dirigeants nationaux fera le tour de la planète par l’entremise des médias pendant plusieurs jours.

S’arrêter à cette seule image reviendrait cependant à occulter ce qui fait la grande particularité de cette COP ; la dimension spécifique susceptible de garantir véritablement la soutenabilité des engagements pris par les Etats :
je veux évidemment parler de la place et du rôle déterminant qu’occuperont les acteurs non-étatiques, non seulement lors de cette phase de négociations mais plus encore en aval de celle-ci dans la mise en œuvre de solutions concrètes tant à l’échelle locale et sectorielle qu’à l’échelle globale et internationale !

Comme je l’ai déjà évoqué dans mon intervention d’ouverture, la France a fait de la mobilisation de l’ensemble des acteurs et des secteurs et de la société une de ses priorités d’action.

C’est là, à mon sens, un des aspects les plus originaux et les plus pertinents dans l’approche qui a été mise au point en amont de cette conférence pour rompre avec un cycle d’échecs ou de semi-mesures prises lors des précédentes COP.

Les acteurs inter-étatiques – et notamment les villes, les différents niveaux de collectivités territoriales, les associations nationales et internationales – ne seront pas seulement présentes à Paris pour souligner la mobilisation des territoires et de la société dans la lutte contre le réchauffement climatique, mais ils seront surtout là pour donner corps à ce qui est appelé l’« Agenda des solutions » ; ce levier fondamental pour des actions, locales ou sectorielles, qui devront permettre de combler « le décalage d’ambition » qui ne manque déjà pas d’apparaître entre les engagements des Etats et les recommandations des scientifiques.

C’est là un changement de paradigme majeur dans l’organisation et la mise en œuvre des négociations climatiques internationales et qui est le résultat d’une implication et d’un combat de longue haleine, tant des ONG environnementales que des institutions infra-étatiques, mené à l’échelle planétaire.

La conférence de Paris sera peut-être, si nous y parvenons tous ensemble, la première grande conférence mondiale qui mettra en œuvre une coopération sans précédent entre deux approches souvent présentées comme antagonistes : une approche « par le haut » et une approche « par le bas », ce que les anglo-saxons ont popularisés sous les termes de « top down » et de « bottom up ».

Nous devons à René Dubos, ce grand biologiste franco-américain, cette formule célèbre prononcée en 1971 : « Penser global et agir local ».

Et bien, nous y sommes enfin aujourd’hui !
… Ou, du moins, nous devons tâcher d’y parvenir !

Bien sûr, cette reconnaissance institutionnelle et ce rôle désormais reconnu comme déterminant des ONG et des territoires dans ce combat du siècle pour notre planète, devra encore trouver son incarnation dans les faits et dans les actes au cours des semaines qui viennent.

Mais on peut d’ores et déjà très positivement constater que, dans les nombreux travaux préparatoires à la COP 21, cette nouvelle place accordée aux acteurs non-étatiques a bel et bien été affirmée.

Les associations et les ONG ne sont plus, comme par le passé, ravalées au seul rôle de conscientisation et de mobilisation de l’opinion à l’endroit du drame climatique.

Elles sont désormais moins considérées comme des agents perturbateurs ou des lanceurs d’alerte hystériques que comme des facilitateurs et des agents d’innovation et d’expérimentation concrète des solutions à mettre en œuvre.

Le 9 septembre dernier à Paris, lors d’une conférence internationale organisée par le Quai d’Orsay, 67 ONG nationales et internationales ont remis à M. Laurent FABIUS, Ministre français des Affaires étrangères et du Développement international, une lettre ouverte contenant les recommandations à transmettre à M. Ban Ki-Moon, Secrétaire général des Nations Unies, lors de la COP21.

Ceci ne veut en aucune manière dire que les ONG et les associations environnementales seront inféodées au seul dessein d’une diplomatie interétatique toute puissante, ni qu’elles serviront seulement à certifier la valeur des engagements pris par les Etats.

La qualité de leur expertise indépendante, qui n’a cessé de s’accroître au cours des décennies, sera sans doute plus écoutée que les analyses et conclusions pro domo des grandes instances officielles.

Et cette crédibilité des ONG pèsera à coup sûr sur la fermeté des engagements plus ou moins formels pris par les Etats.

En parallèle, les acteurs territoriaux sub-étatiques pèseront eux aussi comme jamais auparavant lors d’une COP.

D’abord parce que nombre d’entre elles qui mènent des politiques ambitieuses de transition énergétique à travers des très concrets plans « climat-énergie » seront présentes, qu’elles échangeront leurs expériences et qu’elles inciteront leurs Etats à s’engager plus encore dans la détermination de leurs objectifs et dans les actions permettant de les réaliser.

Ensuite parce que le rôle des territoires dans les négociations internationales sur le climat, officiellement acté dans le préambule de l’Accord de Cancun en 2010, commence à présent à prendre pleinement effet.

Ainsi, l’organisation mondiale des villes, dénommée « Cités et Gouvernements Locaux Unis », est désormais un acteur majeur des négociations actuelles.

Le rôle de ces associations des villes et de régions a notamment été mis en lumière à Lyon, les 1er et 2 juillet dernier, lors du « Sommet climat et territoires » qui a réuni un nombre considérable de représentants de territoires et d’associations, issus de 80 pays de la planète, sur la question de la lutte contre le changement climatique.

C’est également avec la volonté d’inclure les territoires et les élus locaux dans l’approche de la COP 21, qu’un rapport avait été confié par le gouvernement en 2013, à mes deux collègues sénateurs, Ronan DANTEC, porte-parole climat de l’organisation « Cités et Gouvernements Locaux Unis », et Michel DELEBARRE, ancien Ministre et figure majeure de la vie politique française.
Ce rapport sur le rôle des « collectivités territoriales dans la perspective de Paris Climat 2015 » porte un titre joliment explicite : « De l’acteur local au facilitateur global ».

Le temps tourne, et à ce moment déjà avancé de mon intervention, je voudrais, au-delà du cadre institutionnel, vous faire part d’un exemple qui illustre bien à mes yeux l’importance toute nouvelle prise par les ONG et par les territoires dans la mutation que nos économies et nos sociétés doivent engager pour faire face à ce défi sans précédent qu’est le défi climatique.
Parmi toutes les urgences que nous devons affronter : la « décarbonisation de l’économie mondiale » est sans doute une des plus cruciales.
D’après un rapport du FMI de mai dernier, les subventions aux énergies fossiles (charbon, pétrole et gaz) dans le monde atteindraient 5 300 milliards de dollars en 2015, soit 10 millions de dollars par minute !
C’est là 53 fois plus que la somme du financement recherché lors de la COP21 pour alimenter son Fonds vert !
Les auteurs du rapport estiment que réduire ces subventions permettrait de réduire de 20% les émissions de CO2.

Agir en faveur de la décarbonisation de nos économies, c’est précisément l’objet de la campagne internationale de désinvestissement des énergies fossiles, initiée par l’ONG américaine 350.org, fondée en 2007 par le militant écologiste Bill MCKIBBEN.
Certaines institutions encouragent en effet indirectement le réchauffement climatique, en détenant des actifs d’entreprises du secteur des énergies fossiles.

L'affiche des rencontres...
L’affiche des rencontres…

Restée assez confidentielle lors de ses premières années d’existence, la campagne 350.org a soudainement pris depuis deux ans une dimension que même ses créateurs, que j’ai eu l’occasion de rencontrer à Paris en septembre dernier, n’osaient imaginer.
Le nombre 350 fait référence à la sécurité climatique. Pour préserver notre planète, les scientifiques considèrent que nous devons réduire la quantité de CO2 dans l’atmosphère de son niveau actuel, 400 parties par million, à moins de 350 ppm.

Fin septembre 2015, on dénombrait déjà pas moins de 440 fondations, institutions religieuses, collectivités publiques, institutions académiques, institutions financières ou grands groupes médiatiques comme le groupe The Guardian, ayant décidé de suivre ce mouvement.
La première ville à désinvestir des énergies fossiles fut Seattle, en décembre 2012.
Oslo est, depuis mars 2015, la première capitale dans le monde à désinvestir du charbon. La ville va ainsi vendre 6,5 millions d’euros de participations que leur fonds de pension détenait dans ce secteur.
A l’initiative des élus écologistes, la ville de Paris, tout comme la région Ile-de-France, ont choisi elles aussi de suivre la voie du désinvestissement carbone.
La semaine dernière, c’est la ville de Montreuil, une grande ville proche de Paris, qui a décidé d’emboîter le pas.
Et bien d’autres ne tarderont pas, j’en suis sûr, à suivre le mouvement.
Dès 2012, 350.org a demandé aux étudiants de se mobiliser pour demander à la direction de leurs universités de désinvestir.
C’est ce qui a été fait par la prestigieuse Université de Stanford en Californie.

Pas plus tard que la semaine passée, 350.org vient encore de remporter une énorme victoire.
Suite à une très longue campagne, l’organisation est parvenue à obtenir la décision du président Obama d’en finir avec le projet de grand pipeline Keystone XL qui devait alimenter les États-Unis en hydrocarbures canadiens issus de l’exploitation des sables bitumineux.
Pour la première fois, un dirigeant mondial rejette un grand projet d’infrastructure en raison de son impact sur le climat.
Pour Bill McKibben de 350.org…
« La décision du président Obama établit un précédent qui promet de bouleverser l’industrie des combustibles fossiles au niveau mondial. »
Cette campagne est très intéressante, car elle permet de déplacer la question du climat, jusqu’à présent surtout axée sur les émissions de CO2, vers la production et l’industrie fossile.

Il est en effet tout à fait incohérent de demander aux pays d’être propres, quand les finances publiques continuent de subventionner des centrales à charbon et l’usage des énergies carbonées !
Le chemin à faire reste cependant long, même dans un pays comme la France qui revendique l’excellence environnementale à l’occasion de la tenue de la Conférence climatique sur notre territoire.
Une récente étude menée par deux grandes ONG, Oxfam et Les Amis de la Terre, estime que depuis la conférence climatique de Copenhague en 2009, le comportement des banques françaises n’a point évolué, il a même empiré.
Entre 2009 et 2014, elles auraient consacré 129 milliards d’euros aux énergies fossiles, contre 18 milliards seulement pour les énergies renouvelables !

Pour changer la donne, la coopération entre ONG et collectivités territoriales doit être encore renforcée, de même que les interactions avec le monde de l’économie, de l’entreprise et de la finance, comme l’illustrent très bien les succès rencontrés par l’ONG 350.org.
Mais mon temps de parole touchant à sa fin, j’aimerais évoquer brièvement le cadre d’action national.
Je ne m’étendrai pas sur la situation en France, je crois que M. MORICE vous décrira cela bien mieux que moi.
Je veux simplement rappeler que la clé d’une coopération efficace entre acteurs étatiques et acteurs non-étatiques en matière de lutte contre le changement climatique passe notamment par l’acquisition d’un cadre juridique protecteur.
En France, et depuis une dizaine d’années, la protection de l’environnement est consacrée par un texte à valeur constitutionnelle : la Charte de l’environnement de 2004, promulguée en 2005.
De nombreux textes de loi ont été adoptés pour permettre à la démocratie participative d’être concrétisée, comme par exemple à travers l’institution d’un véritable débat public sur des grands projets d’infrastructure ayant un impact environnemental.
Enfin, et c’est peut-être le plus important, la prise en compte de l’environnement doit être portée par la politique.
En 2012, avant l’élection présidentielle, le mouvement France Nature Environnement avait lancé « l’Appel des 3000 », invitant la société à s’engager sur la voie du «contrat environnemental».
Le président de la République, François HOLLANDE, l’avait alors intégré dans son programme électoral, avant de l’appliquer durant son mandat, et d’instaurer un dialogue environnemental.
Alors, certes, les choses en France sont encore très loin d’être parfaites et les conflits actuels comme ceux qui entourent la construction d’un aéroport à Notre-Dame-Des-Landes ou encore le projet Lyon-Turin sont là pour nous rappeler les divergences qui existent encore entre les exigences environnementales portées par les associations et les volontés de développement économique appuyées par les collectivités territoriales.
Et pour terminer sur une note un peu positive à l’endroit des associations environnementales russes que je remercie pour leur présence ici aujourd’hui, et qui vivent au quotidien des relations parfois difficiles avec les institutions étatiques ou locales du pays, je dirais que leur sort n’est pas fondamentalement différent de celui vécu par nos associations en France dans les années 1960 et 1970.
J’ai vécu à cette époque – comme vous aujourd’hui – des moments douloureux et un silence assez écrasant sur nos activités alors dénoncées comme subversives et dont aujourd’hui tout le monde ou presque s’accorde à reconnaître la justesse et la pertinence.
La relative reconnaissance institutionnelle dont nous commençons à bénéficier aujourd’hui en France a été acquis après un combat de très longue haleine.
Nous espérons très fortement pouvoir vous retrouver à Paris à la fin du mois prochain pour continuer à échanger ensemble et pour vous assurer de tout notre soutien.

Au-delà de tout ça, la COP21 qui va s’ouvrir n’est pas jouée dans son résultat.

Cependant, je crois que si elle aboutissait sur une avancée significative, ce serait parce qu’originellement, dans le processus de préparation de cette Conférence de Paris, les acteurs non étatiques auront été étroitement associés aux négociations, ou du moins que leurs recommandations et leur vigilance auront été entendues comme jamais auparavant.

Merci pour votre attention patiente et amicale ! »