Budget 2016 : « Nous sommes passés du vide au bide »

« Au cours de l’examen de ce budget, nous sommes passés du vide au bide. Du vide d’un budget déshabillé d’une réelle substance en matière écologique, au bide d’un budget à présent troué de part en part par la suppression en cascade de nombre de ses missions. »
 
Les écologistes ont voté contre le projet de loi de finances pour 2016, tel que modifié par le Sénat, ce 8 décembre 2015.
 

Ci-dessous l’explication de vote d’André Gattolin.

« Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues,

J’avais imaginé depuis longtemps que ce projet de loi de finances s’inscrirait dans des circonstances spéciales.

Seulement, j’avais pensé que ce contexte serait celui d’un débat planétaire, sur notre avenir commun, à l’image de celui abrité ce dimanche par le Sénat. Il sera finalement celui de la violence, de la violence sanguinaire des terroristes, de la violence xénophobe de l’extrême-droite.

Alors que cette situation plonge notre société dans un large désarroi, je crois, plus que jamais, à la nécessité de l’écologie comme horizon nouveau, comme pensée globale, comme projet durable, apaisant et inclusif.

Je crois profondément que l’écologie peut être ce dépassement, ce renouvellement, cette transformation que beaucoup, dans tous les rangs, appellent aujourd’hui de leurs vœux comme un sursaut.

Ce projet n’est pas qu’une vision de l’avenir, c’est aussi une démarche politique très concrète, définie à tous les niveaux des politiques publiques. A commencer par le budget, qui en est la pièce maîtresse.

Vous comprendrez donc que c’est d’abord à cette aune, monsieur le ministre, mes chers collègues, qu’il m’apparaît utile d’évaluer ce projet de loi de finances.

Ses axiomes, malheureusement, sont de mauvais augure.

Le Gouvernement nous a annoncé d’emblée que la fiscalité écologique, pour laquelle la France accuse un sérieux retard, ne serait pas traitée dans le budget, mais dans le PLFR. Il s’agit d’un détournement de nos procédures budgétaires, monsieur le ministre, et d’autant plus scandaleux qu’il est récurrent. Nous aurons l’occasion d’y revenir, précisément, lors du PLFR.

Pour être tout à fait honnête, monsieur le ministre, il est tout de même question de fiscalité écologique, dans le projet de loi de finances. Car sur les 6 taxes qu’il supprime, au motif qu’elles seraient inefficientes, 4 ont trait à l’environnement…

De plus, contrairement à sa décision initiale, le Gouvernement a finalement introduit, à l’Assemblée nationale, une partie, et une partie seulement, du rattrapage de la fiscalité sur les carburants.

Bien peu de motivation écologiste, en réalité, dans cette démarche. Simplement un besoin d’argent frais, pour financer des mesures générales non budgétisées. Cela s’inscrit dans la vision d’une fiscalité écologique de rendement, qui vient financer les 40 milliards de facilités offertes aux entreprises plutôt que l’adaptation de notre modèle économique et social. Et au fond, je crois que c’est précisément cela l’écologie punitive que dénonce régulièrement Ségolène Royal.

Alors je sais, monsieur le ministre, car nous avons souvent cet échange : vous considérez que de l’argent pour l’écologie, il y en a déjà beaucoup par ailleurs.

Vous citez généralement le milliard du fonds de transition énergétique, l’autre milliard – pour être large – du CITE, les 6 à 7 milliards de la CSPE… Et vous omettez, inexorablement, les plus de 20 milliards d’exonérations encourageant la consommation d’énergies fossiles ; sans compter les nombreuses subventions et garanties implicites au profit de l’énergie nucléaire.

En attendant, quel est le budget de la mission écologie ? Une perte de 920 emplois cette année. Cumulés sur trois ans, ce sont près de 7500 emplois pour l’écologie qui ont disparu, soit une baisse de 19,5 % des effectifs !

Or les emplois, ce sont des ressources humaines, ce sont des compétences, ce sont des expertises. Cela ne se compense pas par l’élargissement d’un crédit d’impôt.

A l’instigation de ses rapporteurs spéciaux, le Sénat a rejeté les crédits de la mission écologie, au terme d’une analyse assez proche de celle que je viens d’exposer rapidement.

Par ailleurs, s’il a malheureusement confirmé la suppression de deux taxes écologiques par le Gouvernement, il a en revanche rétabli l’exonération de la taxe foncière sur les propriétés non bâties dans les zones Natura 2000 et sécurisé le financement des associations de surveillance de la qualité de l’air.

Il a également adopté une demande de rapport sur les modalités de mise en oeuvre d’une taxe poids-lourds à l’échelon régional. Je salue d’ailleurs l’engagement et les convictions sincères, en matière d’écologie, d’un grand nombre de mes collègues, y compris, bien sûr, dans les travées de la majorité sénatoriale.

Pour autant, tout cela, vous le savez bien, ne vous engage pas à grand chose. Il faut aussi le dire.

Vous n’avez pas de mots assez durs pour fustiger la dépense publique et vous-mêmes la laissez filer. Car c’est bien de cela qu’il s’agit, sous couvert d’excédent somptuaire !

Les quelque 40 milliards de crédits que vous avez supprimés l’ont été le plus souvent au motif qu’ils étaient… trop modestes.

On a d’ailleurs bien vu votre embarras lorsque le Gouvernement a présenté ses amendements, augmentant les moyens, matériels et humains, de lutte contre le terrorisme. Des rapporteurs spéciaux qui avaient dénoncé, par écrit, une fonction publique pléthorique se sont trouvés à en approuver l’accroissement quelques jours après.

De plus, et même si ça n’a pas occupé l’essentiel de nos débats, vous avez pris soin, et c’est votre droit le plus strict, d’introduire, dans ce texte, quelques marqueurs très idéologiques. Vous avez ainsi transféré deux milliards d’euros d’impôt sur le revenu des contribuables les plus riches vers les contribuables les moins aisés. Et vous avez allégé l’impôt sur la fortune.

Enfin, pour masquer ces incohérences, pour compenser vos nouvelles dépenses et vos chutes de recettes, votre seule réelle initiative aura consisté à vous attaquer à la fonction publique. Une fonction publique qui serait trop nombreuse, trop oisive, trop malade, trop payée. Cette même fonction publique que vous avez couverte d’éloges, quelques heures avant, pour son rôle exemplaire dans la crise que nous traversons.

Ce libéralisme un peu poussiéreux ne suffit pas – on le voit au résultat de nos travaux – à bâtir un projet d’avenir.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, j’ai l’impression qu’au cours de l’examen de ce budget, nous sommes passés du vide au bide.

Du vide d’un budget déshabillé d’une réelle substance en matière écologique, au bide d’un budget à présent troué de part en part par la suppression en cascade de nombre de ses missions.

Les écologistes voteront donc contre ce projet de loi de finances, auquel l’absence de trop nombreux crédits a fait perdre son crédit.

Je vous remercie. »