Colloque sur l’audiovisuel public du 12 juillet : les missions de l’audiovisuel public en Europe à l’heure du numérique

Ce 12 juillet 2018, André Gattolin, co-auteur avec Jean-Pierre Leleux d’un rapport pour un nouveau modèle de financement de l’audiovisuel public, introduisait la première table-ronde du colloque organisé par la commission de la culture, de l’éducation et de la communication du Sénat consacrée aux « missions du service public de l’audiovisuel en Europe à l’heure du numérique ».

Retrouvez ci-dessous le texte de son intervention :

« Madame la Présidente de la Commission de la CultureChers collègues parlementaires, Mesdames, Messieurs de dirigeants de l’audiovisuel public en EuropeMesdames, Messieurs,

Le thème abordé à l’occasion de cette première table ronde est particulièrement opportun car il renvoie aux assisemêmes du service public de l’audiovisuel, à savoir la question des missions qui fondent son action et donc sa raison d’être. 

C’est une question essentielle, plus encore aujourd’hui qu’hier, tant le paysage des services médias audiovisuels connaît actuellement d’immenses bouleversements qui impactent la nature et la forme même des contenus proposés au public

Qu’est-ce qu’une mission ?

Au préalable, il est important, je crois, de s’attarder un instant sur la signification du terme « mission ».  Son étymologie est la me dans la plupart des grandes langues européennes.

Originellement, il désigne « la charge donnée à quelqu’un d’accomplir quelque chose ; une charge donnée par une instance supérieure, le plus souvent de nature divine ». 

Si cette connotation quasi-messianique est moins prégnantedans le langage actuel, le terme parait néanmoins bien adapté à la vocation historiquement assignée à l’audiovisuel dans nos pays : celle d’envoyer, de propager, d’émettre des contenus, des « é-missions » produites dans le but d’éclairer et d’enrichir les publics destinataires.

En général, un service public trouve sa légitimité et sa raison d’être dans l’impérieuse obligation de répondre à un besoinvital pour la communauté qui ne peut être recouvré par la seule compétition entre acteurs privés sur le marché

La particularité du service public de l’audiovisuel, c’est qu’il se fonde en premier lieu sur une politique volontariste de l’offre plutôt que sur une politique de la demandeexplicitement formulée par la société

Il y a dans la notion de mission une ambition forte – parfois aux limites du réalisable – ; une forme de vision projetée denature moins caractérisée emoins concrète que ce traduit le mot obligation. 

Nous sommes là dans le registre du sens donné bien plus que de la norme édictée. 

Les missions fondamentales assignées à l’audiovisuel public en Europe

Identifier des missions partagées par les audiovisuels publicsdes différents pays européens n’est pas chose facile, tant ceux-ci diffèrent par leur culture, leur organisation administrative et leur histoire.

S’ajoute aussi le fait que l’implosion du monopole d’Etat de la radio-télévision et l’exigence démocratique accrue au sein denos sociétés ont fait, ces dernières années, évoluer les missions originellement confiées aux opérateurs publics qui sont apparus durant la première moitié du XXème siècle

Une rapide analyse permet cependant d’identifier au moins deux grandes missions communes à tous nos audiovisuels publics et affirmées lors de leur création ou de leur refondation :

  • une mission de cohésion de la Nation ;
  • une mission d’éveil et d’enrichissement de la population.

La première mission – celle de cohésion nationale – étaitétroitement liée à la volonté historique de l’État d’assurer sa souveraineté et son contrôle sur les messages diffusés au travers des moyens hertziens.

Cette mission s’accompagnait d’une obligation d’universalité, celle de toucher toute la population et donc tous les publicsavec : 

  • une grande diversité des programmes diffusés ;
  • une couverture de l’ensemble du territoire ;
  • une accessibilité maximale par la gratuité des services.

La seconde grande mission historique, celle d’éveil etd’enrichissement des publics, visait à inscrire l’audiovisuel public en prolongement et en complémentarité des missions confiées à l’éducation nationale. 

Son ambition pédagogique et culturelle devait idéalement traverser tous les programmes qu’ils soient de nature informative, documentaire, fictionnelle ou divertissante. 

Un peu utopique au regard de la nature immersive et spectaculaire de la télévision, cette aspiration s’est souvent commuée en une exigence de qualité de l’offre et un devoir de stimulation de la création audiovisuelle nationale.

C’est cette double exigence d’universalité et de qualité de l’offre nationale qui est consubstantielle au triptyque historique des missions affichées dès 1927 par la BBC et repris par nombre de services publics de l’audiovisuel en Europe : à savoir le fameux « informer, éduquer, divertir ».

Des missions à repenser

Sans chercher à invalider les ambitions initiales de nos opérateurs publics, force est néanmoins de constater la relative obsolescence qui frappe aujourd’hui la formulation desdites missions.

La multiplication exponentielle des canaux de diffusion et l’émergence d’une concurrence privée forte se sont traduitespar un recul et une fragmentation de l’audience de nos antennes publiques et une interrogation sur la naturedistinctive de certaines des missions assignées

Le divertissement, le mélange des genres – l’infotainment par exemple –, la dictature de l’éphémère et du spectaculaire ont envahi le spectre médiatique

Une pression à laquelle l’audiovisuel public a souvent du mal à résister, au risque d’être délaissé par des pans entiers de la population.

L’offre en matière d’information s’est également démultipliée. 

Et si dans tous les pays, l’information publique a su conquérir, parfois de haute lutte, son indépendance à l’égard des pouvoirs publics, elle peine souvent à rester référentielle auprès de nos concitoyens

Quant à l’offre culturelle ou à vocation éducative, elle échappedifficilement à l’un des deux écueils qui la menace : l’élitisme et le ghetto du gotha d’une part ; la dilution à l’extrême et le nivellement par le bas, d’autre part. 

Par ailleurs, et malgré les opportunités dont il est porteur, le développement du numérique représente également une forme de menace pour nos paysages audiovisuels nationauxtraditionnels

Il s’accompagne en effet d’une globalisation et d’une dérégulation de l’offre, d’une dilution du statut de l’éditeur-diffuseur qui cimentait autrefois les programmes et les publicsdans le temps et dans l’espace. 

La délinéarisation conduit à des usages qui flattent unepolitique de la demande fondée sur une consommation en libre-service, au détriment d’une politique de l’offre structurée par un cahier des charges voulu par les acteurs publics. 

L’audiovisuel public peut-il parvenir à se différencier dans un univers concurrentiel de plus en plus riche sans se marginaliser et échouer dans sa vocation à s’adresser à tous ? 

A-t-il encore les moyens d’assurer sa mission de cohésion de la nation, de valorisation de sa langue et de sa culture et d’éveil de ses publics ?

Sans préempter le riche débat qui nous attend, je crois qu’uneréforme de l’audiovisuel public passe, en premier lieu aujourd’hui, par une requalification de ses missions au regard des nouveaux défis auxquels il doit faire face : 

  • se rapprocher de ses territoires et de ses publics là où l’offre globale tend à se standardiser à l’échelle mondiale ;
  • faire rayonner notre culture et notre création en coopérant davantage avec nos partenaires européens ;
  • opter pour l’approfondissement et l’explication face à la superficialité de l’instantané et de l’éphémère ;
  • et enfin, mais non le moindreré-enchanter le public en faisant preuve d’audace et de réel souci de partage avec celui-ci.

Il me reste à présent, Mesdames et Messieurs les dirigeants des services publics de l’audiovisuel en Europe, de vous laisser la parole afin que vous puissiez nous préciser vos approches respectives des missions qui vous incombent.

Ce débat permettra peut-être d’esquisser ce que pourrait être un véritable modèle européen de service public de l’audiovisuel. Je vous remercie de votre attention. »